#anthologie #23 | la voisine et Bruno


C’est ici qu’on habite. L’appartement aux murs blancs sur lesquels on n’a rien accroché encore alors que cela fait trois ans qu’on y habite parce qu’on doit choisir à deux et on a souvent eu des désaccord sur les choix esthétiques alors on n’a toujours pas pris le temps de se poser pour pouvoir choisir ce qu’on pourrait accrocher, les meubles éparses dans le salon, la pièce à vivre, éparses en nombre et éparses en qualité, ces meubles IKEA qu’on a acheté avec l’idée qu’un jour on aurait l’argent pour s’acheter des meubles qui durent mais pour l’instant on n’a pas d’argent et on a bien besoin d’une table basse, les moutons de poussière sous les meubles, on n’a jamais eu un appartement qui se salissait aussi vite, la terre ramenée du bois qui s’accumule à l’entrée et qui s’impose dans le reste de la pièce, subrepticement, parce qu’on a oublié encore une fois de passer l’aspirateur après notre retour de promenade, le parquet qui s’abîme déjà parce qu’il n’est pas traité et qu’on vit bien dans cette pièce à vivre et les rayures s’accumulent sur le sol mais c’est un problème qu’il faudra considérer le jour du départ de l’appartement lors de l’état des lieux de sortie. La voix la nuit surtout qui traverse le plancher, la voix de la voisine qui a quatre-vingt quatorze ans et qui ne sait plus trop qui elle est et qui appelle son fils, son fils Bruno qui habite lui au rez-de-chaussée et qui ne l’entend pas la nuit, mais on l’entend, et elle est en-dessous de nous, un peu de biais, on l’entend parce que la porte de son petit cabinet de toilettes attenant à sa chambre est ouverte, encore, et donc quand elle l’appelle, le son se porte jusqu’ici, on a longtemps cru que c’était parce que sa chambre était en-dessous de la nôtre, mais non, sa chambre est un peu plus loin à droite, non pas sous notre appartement, mais sous l’appartement du voisin, qui lui pourtant ne l’entend pas la nuit, mais nous l’entendons qui appelle, pourtant il y a bien une dame la nuit pour la surveiller qui dort dans la petite pièce d’à-côté, une sorte de bureau dans lequel on a installé un lit de camp, alors qu’il y a sûrement une autre chambre au bout du couloir à droite dans laquelle on aurait pu installer l’aide soignante de nuit. La voisine du dessous qui est sourde, n’est jamais dérangée la nuit par les appels de sa voisine du dessus, elle ne savait même pas qu’elle appelait, sa chambre est pourtant placée comme la nôtre, avec les conduits aux mêmes endroits, le son peut-être monte et ne descend pas, en tout cas elle n’est pas réveillée la nuit, elle dort bien. Bien sûr Bruno du rez-de-chaussé n’entend pas sa mère, il ne peut pas l’entendre à deux étages plus bas, à deux étages plus bas Bruno n’entend rien, surtout pas la nuit quand on lui envoie des messages, d’ailleurs il préférerait qu’on l’appelle, qu’on le sonne à trois heures du matin, pour qu’il aille réconforter sa mère qui l’appelle. Dans la journée, on croise souvent Bruno dans le hall, qui sort de la porte qui mène aux petits escaliers descendant dans le sous-sol, dans le local à poubelle, porte à droite qui mène au parking, tourner à droite, continuer tout droit, tourner à droite à nouveau, porte brune au fond, les caves, Bruno va-t-il aux poubelles tous les jours ou dans sa cave, ce n’est pas clair.

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