Anthologie #31 | Rester là

31 – L’odeur du vivant

#31 L’odeur du vivant

Je t’ai bien observée depuis que tu es venue me chercher par la porte-fenêtre. Nous nous sommes vues mais nous ne nous sommes pas jugées. Ne compte pas sur moi pour le faire. J’ai bien vu comment tu vivais même si je ne comprends pas tout. Je ne connais pas ce qui t’environne et tu as sans doute du mal à te plonger dans mon époque. Moi, ce que j’aime, c’est le pâté de viande bien cuit, un gratin de blettes, un gâteau cocotte, des confitures de mûres ou des gelées de groseille. J’aime les tartes aux pommes et les tartes à la rhubarbe. Je me fais de vrais repas assise à ma table, toi tu manges allongée sur ton canapé. Toi tu aimes le thé, moi je préfère la chicorée. Je me demande bien ce que tu fais de ta vie. J’ai compris que tu travaillais et que tu étais souvent fatiguée car chez toi, tu vis allongée sur ton canapé. Notre seul point commun, c’est de remplir des carnets. J’ai vu ce que tu écrivais : rien à voir avec moi. Moi, dans mes carnets, je consignais les événements de la journée. La météo, les plantes que je ramassais, les bêtes que je soignais, les terrines que je confectionnais. Je consignais mes recettes, j’y mettais mes comptes. J’y parlais des gens que je rencontrais. Mon carnet remplaçait une conversation avec un voisin, un parent, un ami. Je n’avais personne à qui parler. Toi, tu écris sur tes écritures car tu n’as personne à qui te confier. Et peut-être que tu ne veux te confier à personne. Toi, tu aimes la semoule, les tomates, le citron, le persil et la menthe. Tu es comme moi, tu aimes les aromatiques, la mélisse, la sauge, l’origan et le thym citron. J’ai remarqué comme toi que tu avais maintenant de la pimprenelle au fond de ton jardin. Pourrais-tu vivre comme moi en autarcie ? Pourrais-tu tuer une poule ou un lapin pour t’en nourrir ? Pourrais-tu t’en occuper et en prendre soin ? Je t’ai vue avec ton chat, il ne faut pas que ce soit trop compliqué. Je ne te juge pas mais le vivant, pour moi, c’est sacré. J’ai vu que toi aussi tu étais attachée au vivant. Alors que pourrais-je, moi, la morte, t’apprendre et t’apporter ? Il y a tellement à rêvasser et à imaginer. Il y a tellement à faire et à créer.  Il y a tellement à amender. Laisse-moi te montrer comment enrichir ce qui est à ta portée.

A propos de Elise Dellas

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