#anthologie #21 | quoi de neuf

« Et toi alors, quoi de neuf ? » La discussion prend un autre tour, chacun son tour dans la discussion, l’attention qui se braque sur une autre cible, une cible qui se tenait dans l’ombre, en mode écoute … Le silence, un silence un peu trop suspect, le silence de celui qui n’aurait rien à raconter ? … le tenter ce « rien » ? (1) … « Et toi alors, quoi de neuf ? » Eh bien rien … enfin pas vraiment rien, juste rien que je n’aurais envie de raconter là maintenant après cette question … pourtant il faut bien y répondre à la question, ce serait une marque d’impolitesse que de ne pas y répondre (2), ne pas y répondre se serait rompre la chaîne de la réciprocité, se condamner soi-même à l’anonymat et condamner la parole de l’autre qui lui a déversé son quoi-de-neuf en croyant bien faire, en croyant que c’était nécessaire, que c’était ainsi qu’on menait une discussion entre amis, d’abord on dit ce qu’il y a dans sa vie, puis l’autre dit ce qu’il y a dans sa vie, depuis la dernière fois que l’on s’est vu … (3) « Rien de neuf. » Ce serait un mensonge en plus, évidemment que depuis du vécu s’est produit … l’autre le sentirait bien qu’il n’est pas dans la confidence, qu’on ne veut pas lui confier ce qui est … Que confier ? Qu’est-ce qui est dicible ? … Qu’est-ce qui est entendable ? … (4) « Et toi alors, quoi de neuf ? » … Peut-être que la meilleure réponse serait quelque chose de l’ordre de « Qu’est-ce que tu veux savoir de moi ? » … question cruelle, l’autre ne saurait y répondre, et peut-être même qu’il se rendrait compte qu’il ne veut pas savoir grand-chose, que la question polie ne détenait aucune curiosité en son sein (5)… « Et toi alors ? » Il s’est bien passé quelque chose juste avant notre échange, quelque chose d’important, de douloureux, d’intime, c’est cela dont il faudrait parler maintenant … et pourtant ce n’est pas une réponse à cette question. (6)

(1) Ce serait surtout accepter la fin de la conversation. Arrêter tout avec le rien. On se regarderait en silence ? Voilà une activité qu’on ne fait pas avec n’importe qui et qui peut avoir des implications que je n’aurais pas voulu assumer à ce moment-là.

(2) C’est surtout ne pas y voir la cadeau, celle de l’écoute, peut-être que j’ai l’impression de ne pas être écoutée, mais ce n’est qu’une impression, si l’autre pose la question, c’est qu’il veut la réponse.

(3) Mais pourquoi ces points de suspension, comme si c’était étrange, comme si c’était autrement que se passait un moment entre amis. Évidemment qu’il faut bien partir de ce qui est dans la vie de l’un ou de l’autre pour trouver une ébauche de conversation, un lieu commun qu’on pourrait emprunter ensemble.

(4) Entre les deux questions, se cache surtout celle de la confiance : qu’ai-je envie de confier ? Et celui de la honte : que suis-je prête à révéler sur ma propre vie ? Très clairement, ce n’est pas l’autre qui me limite ou la pression sociale ou les us et coutumes. C’est moi-même.

(5) L’expression du doute, de mon doute. Projection pure de ma part, l’autre a peut-être des questions. Celle, premièrement, de vouloir savoir ce qu’il y a de neuf dans ma vie. Mauvaise foi.

(6) Et pourquoi pas ? Je me plains que je ne serais pas entendue et je ne fais rien pour l’être. Je tais mes souffrances et ensuite je me plains que personne ne veut m’écouter. Il faudrait en plus que l’autre s’attaque au silence ? Qu’il perçoive la tristesse que j’ai pourtant bien repoussé à l’intérieur ?

Laisser un commentaire