#anthologie #27 | atypiques

Elle fait son entrée. Fracassante. L’adolescente dit : je suis une vraie femme. Elle clope, et alors ? Ses cheveux en vrac sont roses et verts. Elle a autour du cou un collier à clous. Un collier de chien, dit le moqueur. Et alors ? Elle passe en l’écartant du bout des doigts. Dégage. Et vite. Sous son short, qu’elle porte en plein hiver, ses collants résille sont troués. Une bonne voix éducative lui fait remarquer qu’elle risque d’attraper froid. Et alors ? Ça me regarde. Occupe-toi de toi. C’est ce que je fais pour moi. Elle est en noir, ses yeux aussi sont cernés de khôl. Comme les Égyptiens d’avant : c’est magique, elle ajoute. Se laisse tomber sur une chaise, pieds sur la table. Attire irrésistiblement tous ceux qui sont là. Elle dit : il faut que ça change, on aime qui on veut, sans limite. Attire l’attention sur sa jambe.Regarde, celui-là, je viens de me le faire tatouer. Sur le mollet : un dragon tient un décapsuleur. Sur l’épaule, une délicate rose noire, avec illusion de pétales en relief. Sur l’autre épaule, une pieuvre, dont les tentacules s’enroulent autour de son bras. Déscolarisée. Et alors ? S’ils ne m’acceptent pas comme je suis, c’est même pas la peine. C’est pas tout ça, il faut que j’y aille. Elle écrase son mégot par terre, lentement. Bon, ne vous inquiétez pas, je préviendrai si je fugue encore. Elle fait quelques pas, se retourne. Allez, je préviens. Et part en courant. Son rire.

L’homme encore jeune a peint toutes sortes de signes sur son visage. Un peu cabalistiques. Indéchiffrables. Il fait du stop. Personne ne s’arrête. Comme lui, l’abribus près duquel il se trouve, est tagué. Graffé. Une coquille où s’abriter, où entreposer provisoirement ce qui lui reste. Des sacs. Plein de sacs. Il fait peur avec ses peintures de guerre ou apitoie deux ou trois pékins. Mais que lui dire ? De toutes manières, si personne ne s’arrête, il marche, c’est mieux. . Il a ses repères. Le petit bouc tout seul dans son champ du bord de route vient à sa rencontre. L’homme lui donne un peu d’herbe tendre et lui parle. Le petit bouc n’a pas peur.

Une femme a choisi d’aller le plus loin possible, à pied. Elle marche d’abord avec une certaine application, faite pour compter les pas. Elle dépasse ce qu’autorise le compteur et au petit jour se débarrasse de l’application. Elle marche la nuit en suivant les inflexions de la lune. Elle marche le jour en évitant les routes trop fréquentées par les voitures dont les conducteurs s’arrêtent pour lui demander si elle a besoin de quelque chose. Elle marche près des fins de marchés où l’on peut trouver de quoi manger dans les cagettes laissées sur place. Elle marche sous la pluie parce que ça sent bon près des arbres et le long des champs. Elle marche comme on rêve, comme on parle quand quelqu’un vous écoute vraiment 

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

Laisser un commentaire