#anthologie #26 | Orfeo

Je n’entends plus sa voix, nulle intonation, nul accent, nulle petite déformation ou mauvaise prononciation, le jour je ne la cherche plus, la nuit elle n’est pas dans les rêves, reste que parfois à force d’efforts elle me fait le cadeau de la métamorphose, elle ne parle pas mais je l’écoute, étrangement lointaine, les instruments de musique suppléé à son absence, bouche, mains, passage d’air ou de vibration, elle est à mes côtés, sa voix amie est perdue, pourtant je reconnais sa voix Accordéon, souffle tiré à l’extrême, main droite endiablée, déplacement d’air main gauche, anche libre pour la note, détails et ensemble, mélodie et accompagnement, en retour l’écho de sa voix Trompette, toute en lèvres, en contrôle de l’air, en muscle de ventre, harmoniques de sons tenus droit aussi longtemps que le souffle, à mugir, à gémir, à dominer dans les aiguës, passant naturellement du brillant au feutré, un quasi feulement de bête. Si s’élève sa voix Saxophone Alto, Italie, chaleur torride d’un jour sans ombre, Campari, la tessiture grave à fondre le phrasé fluide, glissant dans les différents registres, bec fin, anche simple, et tous les écarts de ses improvisations. Quand se lève sa voix Flûte, clef de sol par excellence, se repend l’appel des anges des églises, tournoiement du son sous les coupoles, triolet, ornement, coda, suite baroque, allemande et rondeau, ligne claire du chant, souffle travaillé, doigts à danser sur les touches. Au feu de sa voix Tablas, creusée en double timbale, tendue de trois épaisseurs de peau, experte autant pour l’accompagnement que pour un solo, ses compo possédées répandent les légendes, modulations et lignes mélodiques rapides, en frappes nettes du plat de la main, en pressions et en glissements de paume, en percussions de phalanges, os contre peau, explosives. Sa voix Clarinette ranime les voyages, passage par les Balkans, traversée de la Grèce et la Turquie, du Liban des montagnes, retour par l’Égypte, les pays de Maghreb et l’Espagne ladino, un principe partagé de bois percé, de vibrations et d’appel de bergers. Je n’entends plus rien, des acouphènes peuplent les ténèbres, une présence de caisse claire, roulement, coup doublé, redoublé, et d’un Charleston précis, rythmé, contretemps, son perlé. Mes oreilles inutiles cherchent encore une fois le moindre indice, ne retrouve qu’une trace effacée, un presque rien de berceuse Dodo Ninette…Dans une chambre pleine d’amandes… chantonnée dans la pénombre, à calmer des petits enfants, sa voix précieuse, celle du Luth assouplie de cordes graves, tissée d’accords complexes, à peine audible, voix de notes filées à traverser les siècles, quatre cents ans de Lamento.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

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