La vie est pleine de vide, cela ressemble à un mauvais jeu de mots, pourtant la vie de ces gens était pleine de ce vide. Un vide qu’ils aimaient, un vide qui pesait sur leurs épaules à en fendre les os ; les plus jeunes eux, la face collée au carrelage, habitué à cette pesanteur, ils jouaient comme des enfants ordinaires, mais en eux cette gravité faisait son œuvre, elle déformait chacun de leurs organes, leur cœur serait à tout jamais fragile, leur cerveau à jamais écrasé par les émotions. Alors vieux et jeunes, adultes pleins de vie et nouveau-né avançaient lentement, écrasés pour toujours par cette pesanteur qui n’avait plus de nom. Il entendait quelquefois certaines personnes dirent, il ou elle a disparu, et il ne comprenait pas, il ne comprendrait jamais ce qu’ils voulaient dire, car si ces êtres étaient nommés, alors ils n’avaient pas disparu, cela l’éloignait des gens ordinaires, car leur langue n’était pas la sienne, les mots qu’il comprenait, devenaient dans leurs bouches, étranger. Il avait compris qu’avec cette disparition ils avaient tous été exilés de la vie comme dans les contes et les histoires anciennes, bannis du royaume à tout jamais.
Combien de temps pourrait-il tenir, il se posait cette question tous les matins. Combien de temps avant qu’ils ne découvrent la réalité, il aime les objets plus que tout, plus qu’eux. Il avait hérité du hangar, deux cents mètres carrés dans une zone artisanale, mais dès l’enfance son grand-père lui avait montré le chemin, alors à la mort de celui-ci il a repris le bail, évacué la vie du grand-père, gardé ce qui était à lui sur les étagères que son grand-père avait mises à sa disposition et mis à la décharge la vie de celui-ci, personne de son entourage n’était jamais venu, là il garde tout, tout. Toute sa vie est classée, répertoriée, sur des dizaines de mètres linéaires d’étagères, sont classés par date de contact :
Les boîtes de conserve vides, les bouteilles vides, les contenants alimentaires, les emballages de produits utilisés, dans des bocaux en verre, les restes des repas, les habits et les chaussures usagées, les outils et les ustensiles hors d’usage et sur l’étagère la plus éloignée, celle qui est au nord, les choses les plus étranges dans des caisses en plastiques hermétiques. Il savait que si un jour, ce hangar était visité par ses proches, cette étagère serait un point difficile à expliquer. Il avait abandonné l’idée d’avoir avec eux, qu’il observait tous les jours, une proximité de ce type ; chez eux, ces choses-là n’avaient pas leur place, pour lui elles étaient précieuses.