#anthologie #13 | tous les jours de l’automne

La grande place remplie de monde où tous les jours de l’automne les pas portaient la foule dans le même sens, de sorte que ceux qui rebroussaient chemin le faisaient à contre-courant lentement, remontant le cours épaule contre épaule au milieu des odeurs de falafels et de barbe à papa, et le matin souvent, avant la grande affluence, les vendeurs se reposant parfois dormant la main sur le cœur au milieu des sacs de pain au sésame les fenêtres entrouvertes et de l’autre côté de la rue le clochard couché appuyé sur son coude avec un air royal et narquois regardant les chevilles passer le long des palissades noires devant les immeubles en construction inachevés, dont le pas de porte avait été prématurément et brièvement exploité par des succursales de banques, abandonnées désormais les vitrines brisées, le faisceau des phares de motos le soir et les bandes tatouées alignant les Harleys devant l’enseigne de l’épicerie fine protégée par une grille en acier, les tambours sur pieds entre les jambes, les narguilés à côté, vapeur de pomme et odeur de café préparé par des femmes en relais et à demeure, servant sur de grandes tables improvisées des soupes épaisses et gratuites, des occupants dans leur tentes avec le linge qui pend et les bibelots apportés pour marquer le siège au pied du bloc de béton soutenant la statue des Martyrs – une femme, la poitrine ouverte, le bras et le menton levés, plus grande que le jeune homme qu’elle tient appuyé contre elle, lui le bras gauche autour de sa taille et le droit arraché par des tirs d’anciens snipers, deux autres jeunes hommes de bronze couchés à leur pieds tendant le bras la bouche ouverte en supplique et, dans la rue vers le Parlement, les casseroles sorties dès le soir tombé frappées en tambourin avec des cuillères de bois au rythme des chansons inventées avec les noms à faire tomber, les silhouettes furtives le bas du visage masqué par un foulards se tenant debout les jambes légèrement écartées le visage très près devant les palissades noires, une bombe de couleur à la main et les autres dans le sac à dos, les masques blancs au sourire inquiétant en plastiques luisants, les chiens couchés au pied de leur maître assis sur un pliant à fumer, les barbiers rasant des visages souriant sur une chaise au milieu au passage, des hommes à cheval descendus de la plaine regardant immobiles la foule passer à leur pieds, le salon (canapé fauteuils et table basse) mouillé et installé au carrefour avec son parasol, les averses et les courses pour s’abriter sous le pont, les échanges de parapluie, les messes dans l’église sans toit en partie calcinée avec l’inscription en lettres gothiques Gloria, in excelsis Deo, le chant du muezzin et la projection d’un film de Maroun Baghdadi par les étudiants des Beaux-Arts à l’intérieur de l’ancien cinéma à la forme d’œuf entièrement couvert de graffitis et de trous de balles, les courses poursuites la nuit derrière un voleur de téléphone se terminant à plusieurs en riant assis sur le trottoir, le vendeur ambulant avec sa petite carriole et sa moustache posant fièrement, les jeunes torses nus un foulard blanc sur le visage, cachés derrière une plaque de tôle, lançant des pierres devant les gaz lacrymogènes et les projectiles, les regards fiers et les doigts en V de la victoire, les fanfares, les enfants le visage peint jouant à la marelle, les processions à la bougies et les chaînes humaines, l’homme au loin sur le pont disposant des parpaings en travers l’ancienne ligne de démarcation pour arrêter les voitures, les tentes remplis de monde assis en tailleur avec l’inscription Agora sur une feuille de papier collée et le micro qui passe, le vieil homme seul sur la place vide la matin après le démantèlement des échafaudages, au milieu des tiges d’aluminium avec sa casquette et son petit drapeau

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