#anthologie #26 | scialytique

d’abord c’est ténu, ça arrive comme d’un couloir, ça approche, ça se rapproche : des portes battantes peut-être ; frottement assourdi de semelles muselées, de polyester; glissière qu’on zippe ; il y a comme un roulement : des charriots peut-être, ça tire, ça racle : on déplace des meubles, on pose des choses : entrechoquement d’objets, métal contre métal. Il lui semble qu’on déverse des matières plus ou moins épaisses dans des récipients : ça coule : on touille; ça remue, ça brasse toujours métal contre métal. Des voix, elle ne distingue d’abord qu’un brouhaha, syllabes entre-brouillées, et bruits de déglutition. Elle doit accommoder son oreille. Combien sont-elles: graves, aigües. Ombres blanches qui s’amenuisent et s’élargissent derrière le bâillon des yeux. Elle les imagine penchés, perchés, arcboutés. Puis ça se nuance: elle doit s’arracher à sa torpeur, se hisser à l’oreille pour discerner, elle se tend pour attraper un filet de mots et distinguer ; ce n’est plus seulement une masse c’est une juxtaposition de voix, quatre ou cinq peut-être ; l’une sur sa droite, l’autre comme au dessus d’elle ; le genre n’importe pas, ni l’âge : l’une chevrote, l’autre prend son temps, les mots entrent dans la lumière, lentement ; la plus aigüe des graves, il semble qu’elle commande (c’est la cheffe je pense, pas besoin de crier elle sait se faire entendre) autour c’est silence, la voix intime et quelque chose la transperce ( celle-là, je dois la craindre )— joindre le geste à la parole on dit, ici la parole s’ébruite avec une lame ou au rasoir (qu’elle se taise). Elle allongée, sanglée, réduite à un plan de métal; une boule entrave sa bouche et comprime sa langue ; un tuyau obstrue sa trachée. Elle ne peux ni articuler, ni crier: tout juste respirer. Ce bruit qui grandit ce doit être celui d’une scie, il lui cisaille les tempes. Et ce poids sur son corps. Ce doit être le début du début. Un mot heurte sa joue, la voix maitresse a donné le signal. Ils commencent. Ils se taisent à présent. Leur silence grince. Puis c’est un bruit sourd : un morceau d’elle tombe.
 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

8 commentaires à propos de “#anthologie #26 | scialytique”

  1. Incroyable tension dans ce texte. Dès le début on est pris et on veut savoir. La langue, les sons et les bruits vous emportent. Et puis la chute, terrible. On comprend grâce au titre (je suis allé voir de quoi il s’agissait je découvre le mot) qu’on est dans un bloc opératoire mais dans quel contexte ? c’est très équivoque jusqu’au bout, l’angoisse et le malaise perdurent longtemps après la lecture… Merci pour ce texte haletant et si bien mené Nathalie !

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