#anthologie#25 | carnet en cours

La première odeur dont je me souvienne, c’est celle de la mer. Fortement liée à sa rumeur, algue sable sel.

L’odeur du jardin pris de rosée au matin.
L’odeur des herbes sèches sous une pluie forte. Du foin coupé. Du jasmin. Du chèvrefeuille à l’orée de mon bureau.

L’odeur du béton, de la poussière, de l’urine sur le béton, des punaises prises dans les rideaux, des cadavres d’insectes.

L’odeur du cirque, de la barbe à papa, de la réglisse.

L’odeur de la blessure, du sang, de la chair infectée qui peine à guérir. L’odeur de l’hôpital, des produits désinfectants, des couloirs sans fin qui bordent des chambres où l’on meurt. L’odeur fétide du marécage.

Il y a les odeurs anciennes attachées aux souvenirs et aux lieux, lieux dans les maisons ou dans les jardins, lieux dans les villes. Je me souviens en Inde avoir traversé des cloaques sur les rives de la Yamuna, les villageois engraissaient les champs avec des excréments humains, l’atmosphère était atroce, impossible à supporter, même avec un linge sur le visage.
Et il y a des odeurs de maintenant dans la cuisine, courgettes au paprika qui s’amollissent dans le ronronnement du four, mie du pain aux graines de lin, peau de la mangue qui demeure sur les doigts.

L’odeur de mon corps. L’odeur de l’aisselle, de l’intérieur des oreilles. L’odeur de ma sueur. L’odeur des autres corps. L’odeur du mensonge, de la peur, du désespoir, du regret parce qu’on aurait pu faire autrement, pas pu dire autrement, pas su se taire, l’odeur qui échappe aux mots qui voudraient la décrire.
Quelques-unes de mes odeurs préférées : amande douce, caramel, café moulu, anis écrasé.

Et ton odeur à toi, à l’origine des cheveux, tabac et savon doux dans le cou, ton odeur ruisselante et unique au sortir des déferlantes.

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

6 commentaires à propos de “#anthologie#25 | carnet en cours”

  1. Odeurs d’hier et d’aujourd’hui, odeurs des corps, de ton jardin qui se heurte au béton, à la ville, mauvaises odeurs (je crois les avoir oubliées !)… oui c’est un carnet en cours, on va pouvoir nourrir tout ça au fil du temps. Et cette rumeur de la mer qui ouvre ton texte et les déferlantes qui le clôturent… (j’ai un tic quand je lis tes textes, Françoise, tu sais ce mouvement de bouche pour dire qu’on est épaté. J’aime vraiment ton écriture (déjà dit ?). Je t’embrasse.

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