#anthologie #22 | à la place de l’archange

Celle de tous les rendez-vous. Logée au cœur de la ville avec sa grande statue guerrière au doux visage. Une trouée. Plate-forme donnant sur le boulevard qu’on traverse pour d’un côté emprunter la rue de la Buchette ; de l’autre la rue Saint-André-des-Arts. Ou alors longer le pignon en remontant le boulevard. Ou laisser derrière soit la plaque tournante pour aller vers la Seine. On s’y était retrouvés cette fois-là en pensant à toutes les retrouvailles secrètes à côté de la fontaine. Pas devant, on fuyait les photographies chères aux touristes. On s’attendait, cœur battant. L’un, dans le renfoncement, se délectait de voir l’autre chercher des yeux le premier arrivé. On a pensé aux griffons tagués en rose, aux étudiants qui se regroupaient, à l’accident sur le boulevard, au retard de l’un, et l’autre dans l’attente qui déchire. Quelque chose d’éperdu. On se l’est dit, ce jour de mai, quand on s’est tous retrouvés autour d’elle — une partie des enfants et des petits-enfants avec l’archange en arrière-plan. Elle ne savait pas que nous serions là pour fêter une première fois ses quatre fois vingt ans. Là devant la figure aux grandes ailes sombres. Epée en main, et les vertus cardinales aux quatre coins.  Là avec nos vies, nos surprises, le restaurant du quartier latin, le texte à haute voix et le bateau-mouche. De quoi jouer les touristes en famille. Photo rituelle : un arc-de-cercle devant la fontaine excessive, elle avec son écharpe blanche, ravie, entourée. Il avait plu, le sol brillait. L’eau de la fontaine ruisselait au centre, nappe de dentelle transparente. On a entraîné la reine-mère vers la rue de la Huchette et elle est entrée dans la chanson de Simon, à petits pas.

C’était il y a dix-sept ans. Avant-hier, un tour par là. L’archange, silhouette immuable   au-dessus de la mêlée. Comme si rien n’avait eu lieu dans l’intervalle. Les quatre colonnes plutôt roses, veinées, de part et d’autre soutenant regards et souvenirs. Devant la fontaine, bien au centre, un enfant tout seul, photographié par sa tribu colorée. Deux filets d’eau, arcs-boutants de l’instant sortent de la gueule des chimères. Mais pas d’eau dans la vasque. Juste les deux jets latéraux. Disparition des retrouvailles. Effervescence estivale sur la place.  Au bord du boulevard, des piles métalliques. Barrières pour contenir les événements à venir. Le feu passe au rouge, il faut traverser. L’archange dans son arc-de triomphe enjambe le mal. Ou l’absence. Geste de statue. Plus loin, on applaudit. Place au sport.  La rue de la Huchette absorbe la foule aveugle.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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