Cette nuit où je ne dors pas, ce séjour pourtant sans stress, sans pression, juste une rencontre amicale, juste pour le plaisir de la course, la course pour la course, cette nuit tranquille pour la plupart, je la passe à regarder les autres dormir dans ce dortoir. Cette rencontre avec un club d’athlétisme de Slovénie prévue de longue date, cette échappée dans notre ordinaire, dans nos entraînements, on aurait pu prendre ça pour des vacances presque, mais s’entraîner quand même. J’ignore pourquoi je ne dors pas, c’est sans doute le changement, une certaine désorganisation dans mon organisme. C’est tout chamboulé à l’intérieur. La nourriture n’est pas comme la nôtre. Et puis la promiscuité n’aide pas. J’ai du mal, moi, à dormir au milieu des autres. Alors je les regarde. B dort tout recroquevillé, sa respiration est régulière, son souffle lent, comme s’il courait, il expulse l’air par la bouche. N gigote beaucoup au contraire, son sommeil semble agité, peut-être peuplé de rêves étranges, sa bouche pincée, ses poings serrés, il y a de la résistance, quelque chose qui cloche dans son corps tendu, une brisure, un élément anguleux, obtus dans sa posture. D dort bouche ouverte qui pourrait happer une mouche, yeux ouverts aussi, révulsés dont on voit le blanc, flippant. Je les regarde tous et j’y trouve un apaisement. Il y a un relâchement, une lenteur. Regarder les autres dormir c’est se plonger hors du temps, léthargique langueur qui abolit les durées, les étire. Et se laisser envahir par leur abandon. Ce calme qui me couvre, ce bruit blanc, cette douceur et en même temps, leur fragilité dans le sommeil qui les rend tellement vulnérables. Assise mieux que couchée, je les couve du regard, avec l’impression illusoire de les protéger, de les veiller.
Et déjà l’aube est là. Et déjà le mouvement dans le corps engourdi, assoupi sans sommeil, déjà éliminer le fourmillement dans les membres, avant premier échauffement de la journée.
2 commentaires à propos de “#anthologie #24 | nuit blanche”
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Que de portraits à cueillir à l’aulne de ce sommeil, celui qui vous échappe, celui qui se pose sur les autres. Je vois votre regard se promener sur les uns et les autres, se nourrir au passage… « et se laisser envahir par leur abandon. » Merci !
Merci à vous