#anthologie #19 | album photo

Toutes les images disparaîtront 

madame Gatounes, la maîtresse de l’école maternelle, classe des écureuils, au haut chignon roux

l’affiche  de Renaud punaisée sur la tapisserie de la chambre et recouvrant tout un pan de mur avec ces mots, la chetron sauvage

la photo d’un enfant, toujours la même, à chaque journal télévisé, cheveux bruns, un peu longs, bouclés, un prénom, un regard et qui réapparait des dizaines d’années plus tard, même photo, mais la coiffure, le vêtement signent une époque révolue. Et jusqu’au prénom. Grégory 

l’autocollant jaune et rond avec le dessin simpliste d’un enfant en maillot surfant sur une vague et tout autour écrit en lettres vertes Jeunesse en plein air

le triangle rouge MAIF collé sur le pare-brise qui permet de s’identifier, ceux qui forment à travers le pays comme une grande famille

les avant-bras colorés des enfants sur lesquels on devine des restes de décalcomanie

le portrait d’un amoureux dessiné au feutre sur un bout de carton par Gil et qui tient lieu de photo en attendant d’en recevoir une, et qui est conservé après avoir reçu une photo d’identité, parce que plus  vrai.  

des fanions en velours avec des noms de pays ou de région écrits dessus, accrochés à la fenêtre d’une caravane

les images de trajet en voiture, le triangle rouge de la MAIF, les fanions en velours, les faux chapeaux tricotés posés sur la planche arrière des voitures prétendant dissimuler un rouleau de papier toilette

un enfant, fesses nues, sortant des toilettes  en agitant un bout de papier WC  tandis que se dévide derrière lui le rouleau et criant Maman

une table en Formica désertée par les membres de la famille déjà en train de se laver,  de s’habiller, de se préparer, et seule devant une boîte en plastique jaune de Nesquik, déjeuner en écoutant la météo marine Vent force 3 est ouest, mer agitée

sous un t-shirt rouge, une croix occitane  en velours ras, floquée, et de jeunes seins, incongrus, qui viennent transformer le buste 

à Evora, des arrêtes de pilier faits de tibia et de péronés, des murs de crânes et, accrochés à un mur, deux squelettes, entiers ceux-là, ceux d’un adulte et d’un enfant, et cette menace à l’entrée, nous-autres os attendons les vôtres.

une jeune fille aux cheveux longs portant un maillot jaune, une pièce. La seule personne de moins de soixante ans à ne pas être en monokini. Elle est très belle. Cela tient-il au maillot? 

des bancs en fer, larges, confortables, faits de cercles évidés, dans lesquels on a glissé des pièces grises de deux centimes. Des bancs comme des coffre-forts inviolables. Pièces impossibles à retirer. Bancs qui défient toute explication rationnelle. Comment a-t-on pu faire entrer ces pièces impossibles à sortir. Des pièces de peu de valeur mais dont le nombre, si l’on ajoute celles de tous les bancs, constitue une somme enviable pour une enfant 

les fleurs en crépon et les guirlandes en papier que l’on accrochait au murs en béton lors des goûters d’anniversaire 

une salle à manger étroite, une table en bois qui occupe presque tout l’espace, avec ses chaises rangées autour, un buffet ancien, un fauteuil, une télévision en couleurs et au mur une pendule en forme de chalet et, du trou percé dans le toit, un minuscule oiseau en plastique jaune et bec rouge qui toutes les trente minutes jaillit, coucou, à la demi coucou, à une heure coucou, à deux heures coucou coucou, à trois heures coucou coucou coucou, et l’animal en plastique  trois fois entre, trois fois sort coucou coucou coucou, sous le chalet deux poids en forme de pignon et puis, près de la porte, le bout d’une patte de chamois empaillée (fausse?), et au clou, une clef accrochée, et sur la télévision, un paysage de neige en plastique enfermé dans une boule de verre d’où tombe de la neige quand on la retourne, et aux murs encore, deux portraits, sépias, dans des cadres ovales, un homme, une femme, âgés, figés, austères, aucun des deux ne sourit

une poussette recouverte d’un tissu vichy de camaïeu de bleu et, accrochée, une plate-forme rouge qui représente une coccinelle

une cuisine sombre, vaste, une vieille femme aveugle devant un monceau de haricots verts qu’elle équeute en silence. Dans le vestibule, une cabine téléphonique ouverte, un téléphone à cadran noir. Une voix inconnue. Un malaise 

un élastique plat passé derrière les chevilles de C. d’un côté, derrière les pieds d’une chaise de l’autre

une ficelle qui se métamorphose entre les doigts, devient berceau, tour Eiffel, scie, rails, sardine

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

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