Je vois tous ces visages endormis entre parenthèses. Je vois ces visages, mais je ne sais pas quoi regarder. Le plissement d’un front me renvoie à un rêve bien loin de cette surface, un rêve doux ou brutal dans les profondeurs de l’océan de l’inconscience. Le frétillement d’une narine, le tremblement d’une paupière, un rictus maladroit témoignent d’une vie lointaine comme autant d’échos sourds qui grondent dans la nuit. La peau du visage comme la surface de la mer dont j’ignore l’origine des soubresauts. Et puis il y a aussi l’immobilité parfaite des visages paisibles balayés par le rythme délicat des respirations légères. Un sourire presque. Une parenthèse aérienne que j’imagine bercée par l’agréable. C’est peut-être l’absence qui dicte sa loi muette, absence de rêves, de pensées, de raisons excitatrices et cicatrices. Un vide qui endort les muscles du visage à leur tour en proie à un sommeil profond. Je ne sais pas si les muscles rêvent. Ceux des bras, ceux des jambes qui parfois s’agitent eux aussi dans la précipitation d’un rêve à rattraper, doivent partir en conquêtes. Ceux des doigts des pieds et des mains doivent saisir ou danser, repousser ou caresser. Celui du cœur n’a pas d’autre choix que de battre le rythme des émotions. Mais les muscles du visage, si fins et si délicats, qu’advient-il d’eux lorsqu’ils sont délaissés ? Ils s’endorment comme des plumes reposent sur le sol lisse, préservées du moindre souffle de la plus infime pensée. Je vois tous ces visages entre parenthèses et j’y cherche le mien. J’y cherche mon image quand je ne suis plus là. Je n’ai pas l’air gai quand je dors. Je ne sais pas si je suis gai quand je dors. Je ne sais pas si je dors. Que peut-on savoir quand on dort ? On sait des trucs d’endormis qui n’ont ni queue ni tête. On croit savoir, mais ce ne sont que des échos de vrais trucs qu’on sait dans la vie éveillée. Des échos imparfaits. Devant tous ces visages de gens qui dorment, je ferme mes yeux et je m’endors.