#anthologie #22 | rue royale

C’était dans la rue royale, c’est toujours dans la rue royale mais la charcuterie n’existe plus depuis longtemps. Il y avait sur la façade un cochon riant-je n’ai jamais compris pour quelle raison on représentait toujours des cochons riants sur les devantures de charcuterie ou les papiers des boucheries, les pochons aussi, je doute fort que les cochons prennent grand plaisir à être envoyés aux abattoirs et à y être exterminés-on entrait alors dans la boutique et l’odeur du jambon blanc vous emplissait les poumons. Le jambon n’était pas rose, plutôt dans le marron et il n’était pas mouillé. Il y avait toujours du monde et pourtant peu d’habitants alors mais les Carrefour et compagnie n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Maintenant, c’est toujours la rue royale mais il n’y a plus de charcuterie ni une autre boutique à la place. Le magasin est remplacé par un lieu d’habitation, des rideaux occupent la vitrine et le laboratoire que j’avais vu une fois car j’étais copine avec la fille des charcutiers n’existe sans doute plus. Il n’y a plus les va et vient dans la rue royale qui est la rue principale du village ou ce n’est plus aux mêmes heures. Comme presque partout ailleurs, les lotissements sont sortis de terre et la population vit davantage au rythme des heures de bureau qu’à celle des champs. Du temps de la charcuterie Boivin, les tracteurs menaient grande vie dans cette rue, les solex aussi. Il n’y avait pas toujours une voiture dans les foyers alors on se déplaçait en tracteur. Maintenant chaque maison de lotissement bichonne deux voitures ou presque. En face, il y avait une des deux boulangeries du village : la boulangerie Devautour, l’autre, à l’autre bout de la rue était la boulangerie Boulanger, un nom prédestiné. Le village se séparait en deux : il y avait les pro Devautour et les pro Boulanger. La rue s’animait au rythme des heures de l’école primaire attenante à la mairie. Maintenant, l’école primaire est sur les hauteurs du village et l’ancienne présente encore ses fenêtres ovales souriantes mais sans vie. La boulangerie Devautour a fermé, la Boulanger est restée, je ne sais pas son nom actuel. Idem pour les boucheries, l’une reste, l’autre a disparu dans les méandres d’une habitation. il n’y a plus de tracteurs qui circulent aujourd’hui rue royale, s’il en reste, les chicanes les découragent de s’y aventurer. Les garçons de l’école primaire ne savent plus conduire les tracteurs et les enfants boivent leur lait matinal sans savoir d’où il vient. Le bureau de tabac résiste lui aussi mais la rue royale a perdu son aspect commerçant. Il n’y a même plus de café qui pleure qu’avant c’était mieux. Mais la rue royale garde ses maisons de maître en tuffeau; ses toits en ardoise et ses jardins verdoyants.

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