#anthologie #23 I l’autre ascenseur (inachevé)

C’est un Ehpad récent, propre et lisse, à flanc de colline, dans les albères. Elle y visite régulièrement sa grand-mère, chambre 64, quartier des enfermés (1). Elle ne prend jamais l’ascenseur métallique, surtout parce qu’il y en a deux; l’un dessert les trois étages munis de chambres, de salles communes, de terrasses et de réfectoires lumineux, l’autre, juste à côté, en tous points identique, est interdit au public. Rien n’indique lequel emprunter : les gens savent. Elle a peur; de se tromper et de découvrir l’arrière-boutique, l’Ehpad retourné comme un gant. Le niveau -1, d’une saleté éprouvante, débordant de poubelles gonflées de couches culottes, dégagerait une odeur de fientes, d’urines parfumées (2) et de bois; le sol, jonché de charpentes moisies, rendrait chaque pas risqué, plus on avancerait vers les fausses sorties de secours, plus on s’enfoncerait dans une matière visqueuse, dégageant un son de pluie sur un pare-brise, ici imperceptible,

déjà plus franc au niveau -2, se transformerait en un grésillement de radio envahissant tout l’espace aux néons humides et clignotant sur les objets laissés par les morts et par les mortes; pulls et bas mités, cadres, montagnes de photos de familles, de lunettes et de télécommandes, bibles, chaises, buffets, brosses poilues, serviettes de bain, ustensiles de toilette; on enjamberait ce bric à brac pour accéder à une salle où des centaines de téléviseurs diffuseraient des publicités et des reportages aux dents blanches, voix-off hurlantes empilées, trop graves; où s’agiteraient familles nombreuses, tueurs en série, chiens fidèles, assurances vie, explorateurs culinaires, terroirs du monde, têtes couronnées, requins mangeurs d’hommes,

chaque reportage télévisé cacherait une trappe permettant de glisser vers le niveau inférieur, glissade portée par une nuée de papillons nocturnes, glissade durant laquelle le bruit de grésillement s’intensifierait, glissade qui se transformerait en chute, soulèverait le coeur, pour aboutir dans un espace clair, silencieux comme le temps, doté d’un autre soleil et de pelouses vertes où par paquets doux des enfants blancs en chemises claires, apparaitraient et disparaitraient dans un labyrinthe de chambres étroites, les sons semblables à des pulsations y émergeraient de très loin pour s’étouffer près des yeux en faisant battre le sol,

(1) Le deuxième étage ne porte pas ce nom. Simplement, on y entre et on y sort grâce à un code. 
(2) C’est à dire l’odeur du deuxième étage, en pire

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, le documentaire, la photo… Et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif À la Source) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).

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