#anthologie#23 | dans l’infini

D’abord il y a la peau, épaisse. Épiderme imperméable, tacheté, usé, abîmé, doux, flétri, derme coloré qui va décider, c’est une peau contact, d’amour et de batailles, une peau rappel, une peau convenue et contenant, un corps dedans, une peau messagère, une peau embarquée. Tatouée. Cicatrisée. Imberbe. Poilue. Bronzée. Brûlée. Avec des pores.

Sous la peau c’est une machine bruyante. Une circulation rapide et à double sens, qui va de haut en bas et de bas en haut, alimentant les rouages de la machine divisée en muscles (dont la taille varie en fonction de l’intensité physique ), en organes (vitaux et non vitaux, mais normalement tout sert à quelque chose), en nerfs (crise, nœuds, hernies, sciatiques, fourmillements), pour éviter que ça se déchire, se bloque, se paralyse, une horlogerie synchrone, une machine complexe qui part d’un cerveau pour finir à l’érection d’un ongle d’orteil. Palmé. Pouce préhenseur. Orteil préhenseur.

Dessous encore, un autre monde plus petit. Fait de molécules d’atomes qui se font et se défont, des milliards de chocs électriques, c’est ici une chaîne de montage où on paquette, on étiquette, on machette, on fabrique en usine. Se multiplient, s’annihilent, se contaminent, prolifèrent et se raréfient, fusionnent, s’agitent encore quand l’horlogerie s’enraye, dans ces molécules, il y en a qui font de la lumière. Les neutrinos immortels nous bombardent en permanence, ils nous traversent, là, en ce moment.

Dessous encore, il y a plus subtil. L’imperceptible. L’énergie. Le sixième sens. Je suis déjà venue ici. Je connais ce lieu. Cette personne je la connais depuis toujours. Mes parents m’ont transmis ça. Mes arrière-grands-parents m’ont transmis ça. Je porte une mémoire qui ne m’appartient pas. Dans ma famille depuis toujours. Les mondes parallèles. Si le temps n’existe pas tel que nous le comprenons, nous vivons nos vies antérieures en ce moment même. Ce que je vis là influence mon moi du Moyen Age. Moi en guenille ou en chiffon, moi en robe ou attachée à un poteau en feu, moi croyante ou athée, moi desséchée, affamée ou obèse, altruiste ou avare, désincarnée ou présente, moi agissante ou passive, moi qui me pose des questions ou n’en fais rien, à vendre mes choses sur un marché quelconque, avec quelques sous et quelques restes, songeant à ma prochaine tenue ou à mes enfants à nourrir, au mari ou à la femme, au pot jeté dans la rue, à la puanteur de nos peaux faites de dermes, de muscles, de tangible et de sang, et ce sang tourne, ce sang rance, ce sang transmis comme un relais collant qu’on enseigne malgré nous, pendant des vies entières, à bien transmettre, je suis là aussi. 

L’énergie continue encore, plus loin puisque peut-être, mon moi initial est là, dans l’univers, se décrochant d’une étoile naissante ou mourante, d’une poussière éclatée d’un rocher, à l’état de plomb ou à l’état d’or, mon énergie est cosmique, elle contient en elle le tout et le petit, l’histoire de ma galaxie (comment ça se passe ailleurs), elle contient tout, c’est-à-dire peut-être, là, nous sommes tels que la plante, parfaits. Peut-être aussi que mon rocher vient d’ailleurs, de vraiment ailleurs.

Mon épiderme n’est qu’une surface revisitée.
Les neutrinos me bombardent.
Et après la peau, il y a.
Qui vient de mon rocher?

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