#anthologie #22 I Rue d’Uxelles

A droite du parking Soubrane un escalier suivi d’un pont enjambe la Saône. Voilà l’île entourée de terre au cœur de la ville. Face au pont la rue d’Uxelles bordée sur la droite d’un mur haut et gris. C’est la caserne des CRS et son panneau jaune écrit en lettres noires : «Défense d’entrer sans autorisation». Pour le déchiffrer il faut s’approcher, lever la tête, le mur est immense, le panneau minuscule. De l’autre côté de la rue la Maison de quartier du centre avec sa cour fleurie, sa grande salle tapissée de photos : le bal des pompiers, la galette des anciens, le loto de la rentrée et au croisement de la rue d’Uxelles et de la rue Edmé Vadot une petite boutique à la devanture prune, aux vitrines vides avec ce panneau accroché sur la porte : «À louer ». C’est devant la boutique qu’elle raconte son histoire. Elle est enceinte, avec son amoureux ils sont fous de joie, ils pensent : un enfant c’est comme un voyage et eux décident d’aller à la plage. Il achètent les matelas pneumatiques, les serviettes de bain, la crème solaire, les bouées, les maillots, le parasol… Le jour de l’accouchement un homme en orange les arrête sur la route juste avant un embranchement. D’un côté un panneau indique La plage, de l’autre La montagne. L’homme explique  : Vous c’est la Montagne. Ils ont beau protester, expliquer qu’ils ne sont pas équipés, qu’ils ne connaissent pas, rien à faire. Leur voiture s’enfonce dans l’obscurité sur une route sinueuse. Lorsque l’enfant nait il est différent. Elle parle encore longtemps, elle raconte, elle dit à son enfant : Ta montagne c’est ma montagne on va la grimper et si le sac à dos ils l’ont rempli de pierres on va grimper quand même, qu’ils restent en bas nous on part vivre notre vie ! 

Le pont, l’île, le parking Soubrane, la rue d’Uxelles, le croisement avec la rue Edmé Vadot, rien n’a changé. Même pas les photos accrochées au mur de la maison de quartier. Devant la grille fermée de la caserne toujours le même CRS en uniforme, mitraillette en travers du torse, main sur la gâchette. Ou peut-être un autre mais le même. Et toujours le même minuscule panneau jaune : «Défense d’entrer sans autorisation», accroché très haut. Mais qui souhaiterait entrer ici même s’il y était autorisé ? Le garde colle son visage à la grille, il dit aux artistes qui passent : Circulez ! pas d’affiches sur le mur ni sur la Maison de quartier d’en face. Il ajoute : La rue est à nous. Heureusement il y a la boutique à la devanture prune. Elle est occupée à présent. Elle s’appelle : «Personnalisez-moi ». Ici on peut écrire tout ce qu’on veut sur n’importe quel support. Chaque matin la propriétaire nettoie la vitrine, ouvre la porte qu’elle laisse grande ouverte.  Devant la boutique elle a fabriqué un support pour que les artistes puissent accrocher leurs affiches. Souvent des spectacles se jouent à l’entrée d’Edmé Vadot, elle traverse la rue, avance de quelques pas, regarde. Elle aime qu’on lui raconte des histoires.

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

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