#anthologie #22 | Nanterre-Préfecture

Juillet 2014 À se souvenir d’un lieu que l’on a qualifié définitivement de sans âme, mais qui est un passage obligé vers une branche de famille, on se rend compte que pourtant, dans cet univers de béton, il y eut du mieux. Sur cette place nommée esplanade Charles de Gaulle, place de marché comportant quelques magasins, débouchent par l’escalator chaque matin quelques milliers de bureaucrates venus depuis trente ans inonder ce quartier de Nanterre-Préfecture. Comme des billes mais sans les couleurs, ils se répandent et s’éparpillent sur la place et dans les rues alentour, certains rapides car trottinant, s’enfournent dans des immeubles de verre et béton et repartent chaque soir sur des horaires plus étagés, moins pressés, silhouettes similaires, vies similaires ?, laissant les habitants du quartier à domination maghrébine, à leur Franprix, leur boutique de presse papeterie loto tabac, leur banque Société Générale, leur boulangerie qui ferme les samedi dimanche et l’été, car ne travaillant que pour les employés de bureau, leur agence immobilière. Une Roumaine vend le journal des SDF l’itinérant en haut de l’escalator. Toujours en haut de l’escalator s’installe le jeudi un bouquiniste, hiver comme été, avec ses dix mètres de stand, ses poches ses Gallimard ses policiers, ses bouquins d’histoire et de philo, de géo, de littérature sur la littérature et de médecines douces. Chaque journée du jeudi, emmitouflé quasiment toute l’année, il lit, tranquille.

Juillet 2024 La banque a été remplacée par un bloc massif gris foncé, aux vitres sales, nommé centre dentaire, la presse avec ses gros titres a laissé la place à la civette du parc qui fait tabac jeux vape et CBD  tenue par un Chinois, à l’intérieur de laquelle un comptoir où les gens cochent grattent et misent sans joie sur l’avenir. Pour lire les titres de journaux il faut aller au kiosque de l’esplanade de la Défense et se faufiler à travers des tours Eiffel, des foulards et des sacs, le Franprix est resté ainsi que la boulangerie toujours fermée l’été, l’allée menant au parc a été refaite de traverses de bois neuves car elles avaient brûlé lors des émeutes de 2023, quelques palissades taguées rappellent qu’il y avait ici d’autres lieux publics on ne sait plus lesquels. Le bouquiniste brade ses Gallimard à deux euros et le reste à un euro, ésotérisme, romans, livres sur Paris, policiers, beaucoup de développement personnel, ça sent le départ. Un vendeur indien d’avocats et de bananes à l’unité s’est installé en haut de l’escalator, la Roumaine est repartie en Roumanie. L’agence immobilière a refait sa vitrine après des mois de palissades, on est à cinq minutes du stade Aréna de la Défense, dans quelques jours la circulation dans le quartier sera contrôlée: JO 2024.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

Un commentaire à propos de “#anthologie #22 | Nanterre-Préfecture”

  1. … et que dix petites années d’écart…le changement se précipite … comme le temps qui passe… Merci pour ce témoignage très actuel, très parlant.