#anthologie # 21 | Victor Clément, mort d’un auteur raisonnable (version annotée)

Plus d’un an après le décès de l’auteur, cet article fait l’objet d’une réédition comprenant à cette occasion les notes de bas de page qui ont été supprimées par erreur avant sa parution le 3 juillet 2023. La rédaction ne présentera pas les excuses qu’exige la famille Clément depuis l’été dernier mais reconnaît un manquement, probablement dû au relâchement certain de la rédaction à l’approche des vacances d’été.

 » Écorché vif, rebelle à la modernité, admirateur de Samuel Beckett, de Richard Brautigan et de William Faulkner (1), Victor Clément n’était rien de tout cela. Il aimait les gens raisonnables puisqu’il en était un et appréciait, toujours avec mesure, ce qui faisait sa personnalité. Discret. Réfléchi. D’une humeur plaisante, toujours égale.

Victor menait une vie confortable dans un bel appartement parisien. Il venait de quitter le travail qu’il faisait depuis 18 ans à la logistique des transports franciliens. Sa famille et ses amis avaient soutenu son projet avec enthousiasme. Victor avait pris soin de les préparer à ce changement de vie. Une lettre hebdomadaire les tenait informés des étapes diverses qui l’y menaient. Aucun d’eux n’aurait pu s’inquiéter (2).

Le petit studio qu’il avait acheté était situé à Montrouge, à quelques pas de chez lui, de l’autre côté du périphérique. Il était neutre et impersonnel. Suffisamment étroit pour ne contenir que l’essentiel de ses livres. La pièce n’avait qu’une fenêtre, sans vis-à-vis, mais sans réelle vue non plus. Un immense mur de briques s’érigeait de l’autre côté de la rue . Nu, comme les coulisses d’un décor de théâtre (4). Victor avait choisi un mobilier simple, sans confort excessif. Il pensait que rien autour de lui ne devait l’éloigner de sa tâche (5).  

Il écrivait du lundi au vendredi, aux mêmes horaires que son dernier emploi. Il faisait peu de pauses. Le style qu’il déployait à l’écrit n’avait rien de singulier. Victor ne souhaitait pas briller par sa prose mais par l’efficacité des récits qu’il déployait. Il était peu inspiré mais ne cherchait pas à l’être. Il n’écrivait pas par égo mais par soucis du travail bien fait. Il fallait que ses ouvrages soient fonctionnels, qu’ils puissent être lus par le plus grand nombre. Des livres qui faisaient le job, qui se devaient d’être aussi efficaces qu’une ligne de train de banlieue. Victor n’écrivait pas pour des lecteurs mais pour ses usagers (6).

Son studio se trouvait au dernier étage d’un immeuble standard et moderne, à l’image de ses occupants. Le soir, avant de rentrer chez lui dîner, Victor aimait écouter les bribes de sons et de paroles qui s’échappaient des cloisons mitoyennes. Ce qu’il entendait ne le surprenait jamais. Les gens de son voisinage étaient des personnages qu’il aurait pu écrire. Des monsieur madame tout le monde que les gens appréciaient retrouver dans leurs lectures. Des gens sans histoires, comme Victor. Le soir, avant de rentrer chez lui dîner, Victor se réjouissait à l’idée que rien ne pouvait lui arriver (7).

(1) Victor Clément refusait les interviews et plus encore de partager ses goûts en matière d’art et littérature, prétendant s’être « fait tout seul ». Pour autant, l’auteur de cet article n’a rien inventé de ces références. Il lui a suffit de repérer les noms qui revenaient le plus souvent dans la bibliothèque personnelle de Clément (3).

(2) Ce n’est que bien plus tard, des années après le succès des premiers livres de Clément, que sa famille – sa femme Edith en premier lieu – lui avoua n’avoir jamais rien compris à ces lettres ni à ce qu’il faisait dans son bureau, tout seul, toute la journée. Le soulagement que représentait ses absences pour sa famille était tel que personne dans son entourage jamais osé approfondir le sujet.

(3) La bibliothèque de Victor Clément faillit échapper à la connaissance du grand public. Au lendemain de sa mort, la famille Clément chargea Antoine, son frère cadet, de vider le bureau. Peu sensible à la chose, Antoine Clément mis le tout sur le trottoir sans demander son reste. Une bonne partie du lot fut sauvée par un voisin curieux. En apprenant qui était Victor Clément, ce dernier se serait étonné de la richesse et de l’excentricité d’une telle bibliothèque, compte tenu de l’écriture et du style de l’auteur décédé.

(4) Ce mur fut la « première pierre » d’un projet d’école d’architecture qui ne vit jamais le jour. On en comprit les raisons quelques années plus tard.

(5) Daniel Clément, son premier fils, a récemment témoigné à ce sujet, non sans amertume : « En dehors de l’écriture, tout devait être simple dans le quotidien de mon père. C’est ce qui le décida surement à nous appeler, mes frère, mes soeurs et moi, par le même et unique prénom« .

(6) À sa parution, le cinquième livre de Victor Clément, « Une histoire de meurtre », fut élu produit de l’année par l’UFC Que choisir.

(7) « Rien ne pouvait lui arriver », titre du roman posthume de Victor Clément, publié un an jour pour jour après que le mur de la future école d’architecture ne s’effondre à son passage, un soir de novembre, le tuant sur le coup.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, devrait balayer devant ça porte. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.

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