#anthologie #21 | en huit notes

Dans la famille, on dit toujours la maison, pourtant sauf une fois vers mes six ans, ce sont des appartements.1 De la maison en Espagne, je garde un souvenir froid, et un autre où installée à une table je remplis un cahier de vacances, un de ces carnets de dessins apparaissant de colorier la page au crayon de bois. 2 

Elle habite à présent une maison de plain pied, une de ces villas années soixante-dix posée dans un jardin, un gros cerisier aux cerises charnues au jus rouge profond motive ce choix en plus de tenter la vie de famille.3 Avant et après, elle vit dans trois appartements, seule, en célibataire. Je ne crois pas lui avoir connu plus de quatre logements durant les neufs années de notre amitié.4 Dans les appartements il est difficile de faire fi des voisins, des contingences, des hauteurs ou des paliers entre nous et dehors.5  À vivre dans une maison, on oublie vite ces contingences. Un jour elle dit Cette maison c’est pour le cerisier. Vivre en famille, je ne sais pas.

Son dernier appartement, elle l’achète au second, L’amour devient propriétaire d’un appartement un étage au-dessus, deux appartements achetés en même-temps comme l’alternative à la cohabitation en famille. Les deux appartements en position symétrique, le sien sur le palier de gauche donne sur la cour, celui de l’Amour et de l’enfant donne sur la rue.6 Elle sera couchée au premier étage la dernière fois que je lui rendrai visite, allongée dans l’alcôve du salon d’où elle voit la fenêtre et un peu de ciel. Un confort minime. Puis ce sera la fête nationale, la nuit du feu d’artifice, la dernière pour elle.

Sonner à la porte c’est avoir un long moment pour boire un thé 7 dans sa cuisine, à côté d’une casserole et d’un reste de pâtes, une assiette sur l’égouttoir et une autre dans l’évier, des paquets de biscuits, quelques mélanges médicamenteux qui guérissent supposément les rhumes sans fins, les sinusites permanentes. Pour sa fatigue, elle ne se soigne pas, il suffit d’attendre car une chose manque : le soleil. Reste à patienter en buvant du thé, en mangeant des nourritures blanches. Et ça ira mieux. Elle prépare le voyage-soleil. Maroc ou Turquie ? J’hésite.

La maison de la montagne a été habitée jusqu’à il y a peu sans doute. Jusqu’au moment de prendre la grand-mère avec eux, elle en est la dernière résidente. Il n’y avait déjà plus de pigeons au colombier depuis la fi des années cinquante. Dans la serve 8, on rinçait le linge, évitant le lavoir du village.

Une maison dans la montagne, même en moyenne montagne, a une façon de bâti protégeant du froid. Ouvertures étroites. Peu nombreuses. Pièces fermées sur elles-mêmes. On les trouve sombres. Les invitations à la maison de la montagne sont un marqueur du degré d’amitié qui nous relie. Pendant plusieurs années elles rythmeront les printemps. Un jour ce sera la dernière.

1 – Je me demande qui de mon père ou de ma père a banni le mot appartement de notre vocabulaire, tout lieu habité est maison alors que nous déménageons tous les ans ou presque. Mon père détestait les diminutifs, hors de question d’entendre ou de dire On rentre à l’appart.

2 – On donne aujourd’hui aux enfants des cartes à gratter, une pellicule noire recouvre un dessin, il surgit au grattage. Celui dont je me souviens est grisé et le dessin est visible si orienté d’une certaine façon à la lumière, sans doute à y réfléchir, il s’agissait d’une pellicule de cire empêchant le graphite de se déposer, révélant le dessin. 

3 – Un cerisier, une grande maison, un jardin, dans la ville, un mode de vie devenu impossible. Pas de bien disponible. Si le hasard en met un sur le marché, le loyer est stupidement hors de prix. Où vivrait-elle aujourd’hui ?

4 – Le temps est une mixture étrange, il devient une variable quand Galilée le mesure, Francis Wolff le disait l’autre jour et sans doute moins trivialement  Les évènements vont en sens contraire, selon que l’on retienne la métaphore de la flèche ou du fleuve. Il dit aussi Nous vivons dans le monde, pas dans l’univers. Comme Alice je dis Impossible de faire ce qu’on voulait faire hier, puisqu’on est aujourd’hui. 

5 – Certaine théorie du bien-être considère que passée une certaine hauteur, la déconnexion de soi avec le sol est telle qu’elle influe sur nos humeurs, notre sommeil, notre santé, notre sentiment d’humanité. 

6 – Une chambre à soi. Je sais que je l’ai enviée.

7 – Darjeeling, Russe fumé, Earl Grey en vrac, mis à infusé dans des chaussettes, petits filets de mousseline de coton, facile à remplir et à vider, acheter blanc,  à l’usage d’un marron de plus en plus noir.

8 – (Désuet) Réservoir d’eau alimenté par la pluie, une source, un ruisseau, etc. Le 8 octobre et 8 novembre suivant, «le Conseil décida de faire une serve générale pour donner de l’eau à toutes les fontaines de la ville, et commit à Messieurs les Consuls le soin de la faire exécuter.» — (Émilien Lebrun, Les eaux de Brignoles, éditions Vian, Brignolles 1876) In Wikitionnaire 

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

2 commentaires à propos de “#anthologie #21 | en huit notes”

  1. Des notes comme des déplis qui ouvrent un champ de réflexions, de souvenirs, de fleurs. C’est un procédé vraiment intéressant, je trouve, qui nous libère de la linéarité du récit. Très agréable. Merci.

    • Merci Jean-Luc,
      On l’avait déjà fait une fois et c’est franchement une belle piste d’augmentation de texte,
      Entre sensible et wikidico , c’est agréable à faire, ça dégage de la fiction,
      Bonne suite,