Je n’avais aucune image d’Istanbul avant d’y arriver. L’impression d’irréalité persiste. Il n’y avait pas d’image avant et maintenant celles qu’il me reste en mémoire sont fragiles et commencent à se dissiper après trois semaines. Je dois faire un effort pour me souvenir.
La jeune femme de l’hôtel fume la shisha. L’objet bleu tranche avec le vert du gazon synthétique de la cour où nous prenions le petit déjeuner et elle ses pauses.
Le serveur du restaurant dont je n’ai plus le nom. Il est fin et son sourire est doux. Il m’invite toujours à m’asseoir pour attendre mon take away. Quand je dois payer, il me montre la calculatrice pour m’indiquer le montant. Nous parlons par écrans interposés. J’ai croisé son regard. Je croise peu les regards.
Le plateau de loukoum à l’accueil de l’hôtel à côté d’un éléphant en bois laissé là par un ami de E qui s’amuse à abandonner des objets lors de ses voyages comme des bouts de lui qu’il offre au monde. Je suis superstitieuse. Je n’oserai jamais laisser quoique ce soit dans un pays où j’ai peu de chance de revenir et de retrouver ce que j’y aurais laissé.
Aziz un chauffeur de taxi. Il s’arrête et me sourit. Je monte devant. Il m’a retrouvé à la place Taksim. Lui je le regarde et il me regarde aussi. Il est habillé tout de blanc. Il est à l’aise. Il est chez lui. Il parle la langue. II mange des olives et boit sa bière et tapotant sur l’écran et je peux lire « thanks good to ever invented this » en parlant de google traduction.
Les vêtements et les chaussures usées déposés sur le trottoir et proposés à la vente des passants non loin du Victorious café. Des hommes sont assis sur de petits bancs à côté et fument et boivent du thé.
Le plafond du hammam et ces 42 étoiles disposées en cercle d’où passe la lumière. Je les ai comptés. La femme qui me lave est seins nus.
La vue de la fenêtre de la chambre 303 du grand almira hotel. Un terrain vague rempli de cageots en plastique bleu. Un immeuble en vis-à-vis et une fenêtre que je domine me laisse voir un bout de table. Je n’ai aperçu aucune silhouette.
Les minarets dans l’horizon depuis la terrasse panoramique du restaurant Dudu. Un immense drapeau turc flotte dans le vent au loin. J’ai collé un magnet du drapeau sur mon frigo au cas où j’oublierais que je suis allée un jour à Istanbul.
Les images s’effacent. Elles deviennent des rêves dont on cherche à se souvenir. Ils s’éloignent encore plus quand on cherche à les retenir.
On voudrait encore plus (ce serait fou de lire une ville entière avec seulement deux ou trois phrases comme des photographies) (et est-ce qu’on pourrait faire ça avec toutes les villes ou Istamboul appelle encore plus les fragments ?) (merci Gilda pour l’éventail ouvert)
J’aime beaucoup ce texte et ce que permet l’écriture d’images et ici, dans ton inventaire, de personnages capté.es dans le filet de la mémoire justement (j’ai beaucoup aimé l’idée de cette proposition où l’écriture sauve des images qui ont échappé à un regard photographique). L’écriture, filet à papillon du temps qui passe.