Il a fermé sans bruit la porte. Il repartait. J’ai roulé sur le lit, mon corps cherchait l’empreinte de son corps, un corps large dans lequel il m’était facile de trouver une place. Je me suis rendormie. Faire l’amour dans une chambre d’hôtel m’avait toujours paru sans conséquence. Avec R. c’était différent. Cette rencontre me bouleversait, me donnait le vertige. R. me faisait vivre au dessus de moi.
Je me suis levée avec un minimum de mouvement pour ne pas troubler l’espace encore chargé de notre jouissance. J’ai pris mon portable et j’ai photographié. Le désordre du lit, les oreillers écrasés, les draps entortillés, comme noués. Puis mes vêtements abandonnés il y avait quelques heures seulement, jetés sur le sol, éparpillés, alors mêlés aux siens qu’il avait récupérés avant de partir.
Un jour, j’aurai besoin de preuves pour me souvenir.
J’ai enfilé un peignoir et me suis décidée à ouvrir la porte-fenêtre, pousser les volets. L’air s’est engouffré dans la chambre. Je me suis adossée à la rambarde du balcon. Le vent d’ouest frappait l’arrière de mon corps. J’étais heureuse à en hurler, R. en route vers Paris et notre passion dispersée par la force d’un vent venu des océans. Bientôt il m’appellerait. Je ne quittais jamais plus mon portable. J’ai crié je crois. Une femme est sortie sur le balcon d’à côté. Grande. Ses longs cheveux défaits volaient. J’ai reconnu Annie Ernaux.
Je suis descendue dans la salle de restaurant. Après le petit déjeuner, il me faudrait partir pour Rouen. Je reprenais mon service en début de soirée. Annie Ernaux était assise en face d’un homme. Elle buvait un jus d’orange. Elle a répondu à mon sourire tandis que je m’installais près de la baie vitrée. L’homme beurrait des tartines qu’il disposait sur une assiette. Il était jeune et beau. De type slave.
L’homme a commandé un café qu’il est parti boire sur la terrasse. Annie Ernaux m’a fait signe de la rejoindre. Elle m’a dit : « La cigarette ».
Elle a désigné le portable que je tenais à la main : « Vous l’attendez ? »
J’ai souri : « Je ne fais plus que ça, attendre. Attendre un appel, attendre le prochain rendez-vous, le moment où à nouveau, je serai avec lui. Rien d’autre ne m’intéresse. Plus rien. »
Elle a dit : « On ne sait jamais ce que l’on est pour eux. »
Elle a saisi une tartine beurrée, l’a regardée avant de la reposer sans l’entamer. Elle a repris : « On reste toujours cette fille qui croit au bonheur et qui attend. Je m’étonne quand je me regarde nue dans le miroir. C’est toujours le même corps depuis que j’ai cessée de grandir, vers 16 ans. »
On est restées silencieuses, perdues l’une et l’autre dans le reflet des corps.
J’ai commencé : « Les photos… »
« Les photos ! Un jour, vous saurez. Quand viendra pour vous le moment de rendre lisible ce qui vous arrive. »
L’homme slave revenait vers nous. Annie Ernaux s’est servie une tasse de thé et a mordu dans la tartine beurrée.
Magnifique d’émotions simples. merci