#anthologie #18 | A la recherche du regard perdu

Combler le vide – J’observe les gens qui mitraillent le réel avec leur téléphone ou leur appareil photo dernier cri, qui accumulent, leur regard est filtré, la présence est absence, l’écran fait office de spectateur. Le monde devient spectacle et chacun veut en garder un témoignage subjectif. Combler le vide de son incapacité à être présent au monde, de sa pauvreté intérieure en le remplissant d’images qui ne seront d’ailleurs jamais regardées.

Ecran au réel – Se protéger.  Plus jeune j’avais vraiment besoin de l’intermédiaire de l’appareil photo entre le monde et moi. Ma position d’observatrice me protégeait, me donnait un statut mais m’entravait en même temps. Depuis j’ai reposé l’appareil et j’écris avec de l’encre. Quel est ce nouveau besoin dont s’emparent les masses de passer par un objet pour regarder le monde ?

Invention du cadre – Liberté ultime, la composition de l’image que ceux qui n’on pas connu l’argentique ne connaissent pas. Cadrer, déterminer le champ visuel, le composer, délimiter son regard et donner à voir aux autres sa propre subjectivité. Là réside l’acte artistique, voire le talent, quelles que soient les techniques utilisées pour y parvenir et quelque soit le sujet.

Révélateur– Donner de l’importance, révéler le détail, témoigner, mettre en évidence, chemin de vérité ou de mensonge. La magie du labo, l’image apparaît dans le bac du révélateur …Combien de nuit ai-je passées dans mon labo à faire des tirages ?

Eloigner la mort – Boulimie de garder des instants partagés, des évènements, des rencontres, le soi à bout de bras, se regarder vivre avec des selfies, correspondre à un modèle,  oubli et négation de la mort à l’aide du présent de l’image, de la finitude, du vieillissement, arrêter le temps pour calmer l’angoisse de la mort.

S’entourer de fantômes – Dans une pièce, entourée de souvenirs, de ses chers disparus, d’un homme qu’on a aimé. Rendre présents les absents, croire à un au-delà. Vieille photo de famille. Oubli des ancêtres, qui se souvient de cette petite fille en 1902, comment s’appelait elle déjà ? Dans deux générations plus personne ne pourra la nommer.

Mémoire instable – Nourrir la mémoire ou la perdre, ou nourrir, gaver la mémoire pour la perdre ? Accumuler pour oublier, trop d’informations tue l’information, trop de photos stockées, jamais regardées, tue la mémoire. Inutilité de la quantité, éloignement du qualitatif, nos mémoires photographiques se meurent. Les outils n’ont qu’une vie réduite et bientôt ces médiums ne seront plus utilisables, les supports ne durent pas, les fichiers perdent en qualité, les couleurs sur le papier s’effacent.

Expression standardisée – La démocratisation de la photographie a induit une standardisation des sujets, des cadrages, pourtant chacun se croit le maître de son monde alors que tout à été fait en photo. Retrouver la notion du temps long pour capter une image, s’y préparer mentalement, en être réveillée la nuit, chasser l’instantané, fuir les stéréotypes, ressentir l’image avant de la prendre.

Photo d’en tête : je l’ai prise au Lacma Museum à Los Angeles, en 2016…

A propos de Virginie Hanet

Devenue professeur documentaliste dans l'enseignement privé sur le tard, mais avant éducatrice, photographe, peintre, libraire, bibliothécaire...Reprise des études en 2020 avec le D.U. d'animation d'ateliers d'écriture à l'université d'Aix Marseille, puis en 2022 une courte formation avec Régine Detambel dont la démarche de bibliothérapie créative m'intéresse. Un manuscrit en passe d'être édité... heureuse de rejoindre le Tiers Livre pour de nouvelles explorations littéraires.

6 commentaires à propos de “#anthologie #18 | A la recherche du regard perdu”

  1. J’aime beaucoup votre texte Virginie. Les titres de chaque paragraphe sont bien trouvés. Merci

  2. … la magie du labo….merci de faire remonter à la surface de la mémoire des images.. de ces moments tellement intenses…Merci!