#anthologie #18 | Les photos et moi

LA VIE SANS APPAREIL

Je n’ai jamais d’appareil photographique et j’use rarement de la facilité de prendre des photos avec mon téléphone. Pire, je supporte mal le voisinage de gens occupés à mitrailler tout ce qu’ils voient, ceux que l’on croise dans les lieux touristiques, les expositions, les spectacles… Pour moi, la vie est plus légère sans ce filtre entre mes yeux et le monde. 

LA PHOTO SOUS-MARINE

Pour faire une photo sous-marine dans les années soixante-dix, bien sûr en argentique, il fallait une grande connaissance du milieu et une sacrée technique ! 

1 ) On était à vingt mètres de fond ; au-delà le bleu disparaît. 2) Le sujet (poisson) devait coopérer. 3) Au moyen d’une cellule accrochée à sa ceinture de plomb, on essayait d’évaluer ouverture et diaphragme pour avoir un fond bleu 4) Le poisson devait être éclairé par un flash, magnésique à l’époque. 5) Les ampoules étaient dans un petit filet accroché à la ceinture et n’avaient qu’une idée : remonter à la surface. 6) Le flash devait être tenu à bout de bras pour ne pas éclairer les particules qui se trouvaient immanquablement entre l’objectif et le poisson. 7) Tous les camarades de plongée devaient être tenus à distance. 8) Il était exclu de demander au poisson de rester immobile ou d’esquisser un sourire. 9) Dans un nombre non négligeable de cas, au développement n’apparaîtrait que la queue du poisson, qui avait autre chose à faire que de prendre la pause. 

Et je vous passe le bricolage pour mettre son appareil dans un boîtier étanche !

LE DÉTAIL 

Vous avez une boîte de vieilles photos, vous les regardez une à une. Pourquoi celle-ci vous intéresse-t-elle plus que celle-là ? En raison d’un détail. Vous ne voyez plus le contexte de la photo, seulement ce point particulier. Et vous vous dites : est-ce pour ce détail que la photo fut prise ? Vous ne le saurez jamais. Il faudrait interroger le photographe, mais le photographe n’est plus

LA PHOTO QUI A UNE HISTOIRE

J’aime les photos qui ont une histoire.

( …)

Je regardai alors longuement les photos que je connaissais déjà. Je m’arrêtai sur celle de l’enfant. À voir l’expression de la fille du Commandant — sa deuxième fille, m’avait-il confié —, je fus absolument certain que c’était lui qui avait fait cette photo. La petite était charmante, avec ses chaussettes qui glissaient. L’instant d’avant, elle devait courir avec toute son enfance dans les jambes. Un tout petit détail m’enchanta. Le bras droit de l’enfant était contre son flanc. Au bout de ce bras la main faisait le pistolet. Le pouce dressé, l’index et le majeur bien tendus, l’annulaire et l’auriculaire repliés. C’était une petite flingueuse, la fille du Commandant ! Le constat terrible m’a alors submergé : « Cette petite fille n’a plus de papa ! » Ça m’est venu d’un coup : je suis retourné vers le Commandant et j’ai glissé la photo dans le pansement d’une de ses jambes. Je ne pouvais pas choisir ses mains : les Viêts pouvaient les décroiser. Je ne pouvais pas choisir une poche de sa chemise : les Viêts la fouilleraient. Le pansement était plus sûr. Pourquoi ouvrirait-on les pansements d’un mort ? (…) Emilie Kah La petite flingueuse

VRAIES PHOTOS ET FAUSSES PHOTOS

Comment savoir, désormais, si une photo est vraie ou truquée ? Des logiciels comme Photoshop permettent de les transformer. En mutant en images, elles deviennent suspectes.

PHOTO ICONIQUE

Certaines photos sont très célèbres. Pourquoi ? En raison de leur sujet, de leur contexte historique, de leur composition ou encore de leur retentissement culturel ou symbolique. Parfois en raison de la notoriété de leur photographe. Elles sont souvent posées : on pense au Baiser de l’Hôtel de Ville de Doisneau ou Migrant mother de Dorothéa Lange. Je préfère les photos « volées », comme celles de la photographe américaine Vivian Meier.

LES VUES DE L’ESPRIT

Oui, il y a des photos dont on regrette l’absence, on les imagine, on les rêve. Elles n’ont pas de réalité physique ! Ce sont des vues de l’esprit.

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

6 commentaires à propos de “#anthologie #18 | Les photos et moi”

  1. oh oui, bien vu l’histoire de la vérité dans la photo, surtout maintenant… avant il n’y avait pas de truquage
    et puis d’accord avec toi, à quoi bon mitrailler ce qu’on est en train de vivre ?
    salut Emilie

  2. Merci pour le fou rire (puisque le poisson, lui, ne rit pas !). Je me dis que si vous ne pratiquez pas la photo, peut-être pratiquez-vous la plongée sous-marine… Beaucoup aimé ce texte, et j’en profite pour vous demander si je peux vous acheter un exemplaire de votre livre sur les combattants d’Indochine… Merci de me répondre par mail !

Laisser un commentaire