#anthologie #17 | L’œil scrute le silence

« Un samedi après-midi, vingt-quatre décembre, il y a quelques années.

Cinq étages plus bas, dans la rue piétonne, de nombreux passants. Une rumeur de foule. Mais cette rumeur de foule ne me dérang[e] pas. Je [suis] installé à ma table de travail.1 » Moi non plus la rumeur de foule ne me dérange pas pour ce que j’ai à faire. Au contraire. Personne ne me voit.  Dehors il fait froid mais je n’en souffre pas, assise sur un banc dans la rue piétonne, à l’observer cinq étages plus haut. Charles Juliet est timide ou d’une grande modestie. Il semble vivre à l’écart du monde et pourtant son œuvre m’a ouvert les yeux. Il économise sa voix pour écrire, recherchant l’instant où la parole se lève pour la coucher sur le papier de son écriture fine et nerveuse. Je remarque que la fenêtre est entrebâillée malgré la rigueur du temps. Ce n’est pas la froidure de l’aube qui l’effraie, c’est la froideur des hommes. Leur méchanceté. Par moments, la mousseline du rideau ondule légèrement, j’ai l’impression qu’il se lève et s’approche de la fenêtre comme pour jeter du sel aux anges. Sous d’épais sourcils noirs, ses yeux caves mangent son visage émacié tourné vers la rue. M’aura-t-il seulement aperçue ?

1 Charles Juliet, Trouver la source, Editions Paroles d’Aube, 1992

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

9 commentaires à propos de “#anthologie #17 | L’œil scrute le silence”

  1. J’aime aussi beaucoup Charles Juliet…. Cette proposition offre des textes très émouvants. Comme l’exemple d’Emily Dickinson, j’aime l’idée de ces écrivain.es reclus.es que notre œil de lecteur entr’aperçoit. Et à qui les textes rendent hommage.

  2. Cette fenêtre entrebâillée malgré la rigueur du temps, magnifique !
    « Ce n’est pas la froidure de l’aube qui l’effraie, c’est la froideur des hommes. Leur méchanceté »
    Merci

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