La Rochelle, seize rue Saint-Sauveur – que reste-il de vos amours quand ton corps androgyne se soulevait dans vos étreintes. Peut-être que l’enfant ne dormait pas et prenait part dans les ténèbres de sa chambre à vos longs râles bestiaux dans le salon, aux chaloupés des corps, aux respirations fractionnées qui venaient ponctuer chacune de vos séquences. On dit que les enfants dorment avant l’aube mais cet enfant n’avait fait qu’attendre le retour de sa mère, ton retour, et peut-être que dans la pénombre du petit appartement de la rue Saint-Sauveur, un deux pièces déjà, il fêtait avec vous la fin de la nuit, la fin de l’angoisse qui l’avait abasourdi et qu’il s’apaisait de la jouissance de sa mère.
Mais tu ne seras jamais la femme d’un seul homme. Châtenay-Malabry, trois avenue Saint-Exupéry – celle qui a été trahie ne sait pas que l’enfant, qu’elle emporte avec elle, attend encore son retour. Comment pourrais-tu le savoir, toi qui prends racine dans ce nouvel appartement, dans ce taudis de moisissure et de crasse, dans lequel tu fais roc au fond de ton lit pour ne pas être déplacée. Couché sur le dos, j’ai longtemps imaginé la petite mère prendre par la main l’enfant pour l’emmener courir au bord du lac, et je me suis demandé s’il elle n’avait pas rejoué là l’échec de sa propre enfance, qu’elle aurait enterrée pour toujours avec les souvenirs de la rue Saint-Sauveur. Alors les petits cailloux et les fleurs de camomille qu’elle ramassait se confondraient avec ses cris à Elle, l’autre femme, qui m’appelle dans la maison pour que je fende à la lame la toile de sa mémoire.
Elle serait prise entre les fils de l’histoire. Car entre les rues de mon enfance, il y a la rue Jules Ferry qui sépare le vingt-six rue de l’Avenir du dix-sept rue des trois Frères Nadeau. Six-cents mètres à pied. À peine sept minutes de marche mais quatorze ans d’écart entre les deux laissés-pour-compte. Quand ils se croisent pour la première fois, Fifi, le père, a peut-être déjà déchiqueté le masque de fille. On sait qu’il détestera la mère. Et avec elle toutes les autres femmes. Hélène – l’autre mère – est enceinte à seulement dix-neuf ans d’un cousin honni de la famille, dont la boulangerie jouxte la maison du chêne centenaire, tout près du quereu.
Pour l’instant l’enfant ignore tout de ces filiations. Il est seul avec la mère qui a décidé de quitter ce père trop jeune et de l’emmener chez ses grands-parents dans la maison du vingt-six rue de l’Avenir, à Surgères. L’enfant dort avec elle dans la grande chambre du milieu mais une tension l’empêche de trouver le sommeil. Demain il ira à l’école. Il entrera au cours préparatoire pour la première fois dans une ville inconnue. Celle de ses parents. Il arrivera en retard pour son premier jour. Et tous les matins sa mère le lavera en morceaux dans le petit bidet froid du premier étage, sans prêter attention à l’heure.
2 commentaires à propos de “#anthologie #12 | Les laissés-pour-compte”
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Terribles tes « laissés ». Merci Camille.
Merci Hugo pour tes mots et ta lecture ! Et on va essayer de les rendre encore plus terribles dans ce cycle. A très bientôt !