#anthologie #16 | La distance vraie

Quand il est comme ça, chemise boutonnée jusqu’au cou, amplifiant sa maigreur, se déplaçant silencieusement, peur de gêner, proposant son aide pour ranger un couvert ou éponger le dessus de table où sont quelques miettes et taches brunes, quand je sens parfois que sa grande carcasse se glisse à mon côté pour solliciter, quoi ?, un ordre, une demande d’aide, un regard… j’ai peur de ne pas être à la hauteur, ou plutôt à la hauteur juste, à la « carrure » vraie.

Je me dis que l’adolescence est faite de cela, de cette incertitude perpétuelle sous le regard de l’adulte ; je sens sa maladresse dès qu’un geste manuel demandant initiative et un peu d’assurance lui est confié ; je sais qu’il a besoin d’échapper au commentaire qui n’est pas jugement, qu’il est bien de lui laisser de grandes plages de solitude, sans que l’appel de son prénom, retentissant jusqu’à l’étage vienne le dénicher, écouteurs aux oreilles, plongé dans un épisode de Stars War ou même en pleine résolution d’un problème de trigo. Je sens qu’il a besoin de moi pendant ces vacances, je sais aussi que c’est dans ses moments de solitude qu’il se construit,

Certains jours, nous nous frôlons, nos horaires ne coïncident pas. Il a besoin de sommeil et j’ai toujours peur de faire trop de bruit, je contrôle mes gestes, tout en souhaitant probablement qu’il me surprenne un matin en se levant tôt pour partager petit déjeuner, promenade matinale au jardin, commentaires et projets pour la journée. Je me demande parfois comment agit son père, et nous sommes incapables, lui comme moi d’aborder cette question.

Alors je l’observe, il surprend mon regard et me sourit, il a envie de me montrer une de ses créations dans un jeu électronique permettant de construire, aménager, équiper des réseaux urbains dans des villes virtuelles… mais il me le demande à mi-voix –  craint-il de me déranger ? ou que je ne sois pas en mesure de comprendre le quoi et le comment des produits de son imagination – en souriant presque aux larmes, en me suivant longtemps dans la maison avant de prononcer sa question. Nos silences, nos regards furtifs ou pesants cherchent sans doute à surmonter la distance que le temps, le double saut de générations met entre nous ; comprend-il que pour moi, désormais, ce temps est compté 

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