Ce chemin quitte la petite ville pavillonnaire, en s’éloignant de l’arrêt de bus généralement désert durant la journée, mais vers lequel se précipitent quelques étudiants ou employés pressés chaque matin, qui reviennent le soir plus lentement, profitant peut-être de quelques moments « au grand air ». Il laisse à sa gauche les haies de troènes d’un lotissement et longe un champ où se succèdent durant l’année les premières pousses, puis les fleurs jaunes à l’odeur âcre et enfin les gousses du colza. La haie est maintenant faite de quelques feuillus comme plantés là au hasard, dans lesquels nichent des oiseaux qui s’envolent au passage des promeneurs. Elle est bientôt trouée par un panneau indiquant « Parking Chasse » et menant à un carré d’herbe sur la gauche : c’est là que viennent se garer les chasseurs aux tenues camouflage à l’automne. Les promeneurs se croisent d’un bonjour ou d’un geste, visages familiers sans vraiment se connaître. Le matin et le soir, le chemin est emprunté par les joggeurs à la foulée plus ou moins athlétique, certains à la peine, tandis que d’autres passent avec grâce et majesté en quelques secondes. Au bout du premier champ, ceux qui ont peu de temps tournent à droite dans un sentier perpendiculaire au chemin et ils se souviennent peut-être au moment de tourner que leur rayon d’action à l’époque du premier confinement s’arrêtait là. Ce sentier pierreux, lui aussi longé d’une haie vive, emmène vers un autre lotissement dont on aperçoit les toits de tuiles et les haies de conifères, derrière un bâtiment isolé au bord du champ, d’où part très tôt chaque matin un 33 tonnes. Si l’on continue tout droit, un second champ, de blé celui-ci, prend la suite sur la droite, tandis qu’à gauche, de l’autre côté de la haie, un champ de maïs s’étend depuis la fin du lotissement. On croise ici le samedi et le dimanche des troupes de cyclistes aux tenues moulantes en « tissus sportifs », des parents poissons pilotes juchés sur leur bicyclette et suivant deux ou trois enfants de tailles différentes sur des vélos colorés, des familles avec poussettes. Les jours de semaine, le midi ce sont plutôt des télétravailleurs, l’air à la fois détendu et pressé, l’après-midi des retraités seuls ou en couple, parfois des gens au téléphone, tout absorbés par leur conversation. À mesure que l’on avance, on remarque un bruit sourd, avec par moments comme des à-coups ou des raclements métalliques. Bientôt, se dressent sur la droite de grands tas de terre, derrière une clôture de fils barbelés où un panneau indique « CARRIERE DANGER ZONE INTERDITE ». Le chemin avance maintenant entre le champ de maïs et un talus recouvert d’énormes chardons, derrière lequel se devine le travail des foreuses, des excavateurs, des bulldozers, des convoyeurs et des concasseurs, sauf les fins de semaine où son silence s’installe sur la plaine. La vue s’étend jusqu’aux masses blanches et trapues des plateformes logistiques et entrepôts situés de l’autre côté de la départementale à quelques centaines de mètres et, au loin, les lumières du supermarché qui s’est installé là il y a quelques années. Les jours de beau temps, on peut observer les parachutistes qui descendent doucement vers l’aérodrome et l’éclat métallique des planeurs qui tranchent le ciel dans un silence mystérieux tandis que, les jours d’orage ou de pluie, de grands bancs de nuages se superposent en strates blanches, gris clair et gris foncé. L’automne, c’est là que l’on peut apercevoir les chasseurs, qui parcourent les champs avec leur chien, le fusil guettant les lapins dans le brouillard matinal. Les promeneurs font demi-tour à l’approche de la départementale. Sur le retour, ils voient au premier plan le bus qui repart et les voitures qui filent vers l’autoroute, puis derrière la masse des lotissements, sur la colline à droite, les villas du quartier plus huppé, tandis que sur la gauche se devinent au loin les cubes blancs des « quartiers difficiles ».