#anthologie #09 | Dans une seule phrase

 

C’est en contre courant que je décide de rentrer dans cet amour et ne plus avoir d’autres racines que les racines fragiles et mobiles de cet amour, par un coup de dés je rentre dans cet amour qui  se déplace sur des villes et des continents différents, par un coup de tête ce départ définitif, ce changement de pays et de langue, j’aimerais vous le dire, le jour où j’ai pris le train et je suis partie loin de vous qui m’accompagnaient, ce soir, sur le quai numero 8 de la Stazione Santa Maria Novella, partie me construire ailleurs, dans les larmes du soir, près de la rivière grise, ce n’était pas un choix mais une nécessité de vie ou de mort, je n’existais plus, assombrie, mutique, dans une impossibilité de se dire à soi-même, dans l’impossibilité de se reconnaître dans ces années 80 avec leur destruction intime et sociale, mon esprit était retranchée dans des examens universitaires et dans les marges de quelques amitiés, asphyxiée sous la chape mortelle d’une ville repliée sur son passé trépassé, la place sociale et la propriété qui brûlent à vif, là où les mots se perdent dans des vignes et des oliviers cultivés comme plantations, sous la chape des cigarettes et de relations visqueuses d’une ville aux repères géométriques assiégés par un tourisme de masse pillant, dévastant mon âme et nos liens, dans cette plaine étouffante entourée des collines, embrasée l’été, souvent je pense que j’aurai pu mettre fin à mes jours, dans une paralysie des neurones et astrocytes, que je n’aurais plus supporté mon instabilité, che travasare la mia lingua in un’altra è stata un modo per sopravvivere a me stessa, dans cet envol qui ne permet plus de revenir en arrière car tout pousse en avant, le texte se tient en une seule phrase, poussé en avant lui-même par sa phrase au-delà de la langue, dans une autre langue, étrangère comme une veste trop large qu’il faut vite endosser, il fallait quelque chose, subtile soit-elle, j’émergeais à nouveau dès que je changeais de ville, c’est alors que je retrouvais une partie des mots, loin des centres névralgiques qui mettent à mal mon centre nerveux dans une incapacité de la pensée, comment la nommer, dans la recherche de mots pour la dire, pour aller au-delà de phrase et du texte

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.

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