Séraphine a vingt-deux ans. Elle se marie, prend le nom de son mari, jure de lui être fidèle et dévouée jusqu’à ce que la mort les sépare, s’engage à lui faire de beaux enfants qui reprendront le domaine. La main fouille dans le tiroir de la commode en quête du livret de famille, ne le trouve pas, invente à moitié : Placide Francey épouse Séraphine Sautaux le … (illisible) … 191… (avant ou après la guerre ?). Séraphine a soixante ans. Elle lui passe tout, à ce petit, a bien vu qu’il n’était pas comme les trois qu’elle a eus, que celui-là est un tendre, un inquiet, un nerveux à qui la vie ne fera pas de cadeaux, alors elle le console un peu, par avance. Année de naissance ? 188… au lieu-dit le Grabou. Sage-femme : madame Colomb. Sexe : féminin (la main qui a écrit semble avoir tremblé). Séraphine a quarante-cinq ans. Elle regarde par la fenêtre. Robert aiguise la faux. Maria a épousé un instituteur. C’est bien. Benoît a trop mauvais caractère pour plaire aux femmes. Il s’est acheté une moto avec sa paie de maçon, vient aider à l’écurie, passe son temps à jurer. Séraphine se bouche les oreilles pour ne pas entendre. Au cimetière, aller lire les dates (mais Séraphine a été déterrée depuis longtemps) : Benoît, 1920-200… (la main hésite, n’est au cimetière qu’en pensée) ; Robert, 1923-1998 (la main hésite moins, c’était il y a vingt-six ans, au lendemain du dîner de quartier, par la fenêtre on voit les gens s’affairer à mettre en place le hangar). Séraphine a dix ans. Elle descend jusqu’à la grotte donner des restes pour ceux à Joliet : du pain déjà un peu sec, de la confiture, du lard, du marc de café qu’ils réutilisent, un pot de lait qu’il ne faut pas renverser. La main reste coincée au seuil du roman qu’il y a à écrire.
Séraphine… on en veut toujours plus de sa présence, de son regard et gestes,
Bonne suite,