Bordeaux, 30 avril 1934. ils se sont installés au café du port d’où ils voient la courbe parfaite du fleuve qui borde la ville. Ils aiment se retrouver dans des ports où ils laissent aller leur nostalgie au balancement de quelques bateaux encore à voile. Ce soir, il y a, dans la ville, un rassemblement de marins-domestiques — domestiques devenus marins ou l’inverse, c’est selon et ils en profitent. Ça fait bien cinq ans qu’ils ne se sont pas vus, le café est agréablement éclairé par des lampes à gaz et cette douceur de la lumière tranche avec l’excitation ambiante : on a invité un jeune réalisateur pour présenter son film qui parle de marine, Jean Vigo et son Atalante. L’équipe du film est là, Dita Parlo, Jean Dasté, Vigo n’est pas en bonne santé, Michel Simon viendra peut-être. Pierre le breton, Edmond le marseillais sont appuyés au bar attendant d’apercevoir, à travers la fumée, une table libre. Pierre Scoarnec, Edmond Dantés, deux amis. Ils ont commencé par se donner des nouvelles, ils ne sont plus jeunes alors il ne leur arrive rien de bien spécial. Pierre, toujours domestique, malgré l’âge, parle de ses petits enfants, Edmond n’est pas bavard sur sa vie, son père était domestique dans une famille aristocratique, il a aimé une Mercedes, mais ce qu’il préfère raconter c’est comment il a sauvé Angèle sur Le Pharaon, Pierre a entendu cette histoire dix fois : le bateau coulait, Edmond a plongé et il l’a vue, sirène enveloppée de sa robe à la fois nuage vaporeux, pressentiment d’envol et linceul plombant l’entrainant vers le fond. Comme si Angèle dansait un ballet aquatique. Pierre se penche et demande à Edmond de répéter cette histoire qui le fait rêver et comme chaque fois, il se revoit marin sur le pont de L’Atalante au milieu de la mer Rouge sous le soleil meurtrier. Il apporte des seaux d’eau fraiche dans lesquels les hommes de quart plongent la tête. Il vient de réaliser que le nom de son bateau était le même que celui de la péniche de Vigo mais lui il naviguait du côté du Tonkin et pas de Créteil et c’était il y a cinquante ans. Le soir, le film, Brigitte est avec eux, il y a des années, elle a aidé Edmond en publiant des articles dans une sombre histoire de vengeance et elle aime retrouver les deux amis. Le film donc : Juliette s’est mariée à Jean, marinier patron de L’Atalante. Un jour de grande chaleur, elle pousse la tête de Jean dans un seau d’eau — Comment tu as fermé les yeux ? — Bien sûr, je m’y attendais pas. Qu’est ce que ça peut faire ? — Quand on met la tête dans l’eau, on voit celui qui t’aime, faut garder les yeux ouverts. L’année dernière, c’est toi que j’ai vu. Plus tard, pour retrouver Juliette, il plonge la tête dans un seau d’eau, repart triste et plonge dans la rivière : il la voit, fantôme dans sa robe de mariée qui lui sourit heureuse et l’invite à la rejoindre. Pierre est surpris par ces ressemblances, le ballet aquatique d’Angèle, les seaux d’eau sur la mer Rouge — Alors, Edmond, celle que tu as vue, celle que tu as sauvée c’était peut-être Mercedes. Edmond n’y croit pas, en voyant le film, il a revu Angèle dans sa robe blanche mais non, ce sont des balivernes, Angèle n’était pas Mercedes. Jean Vigo ne sait que répondre aux deux hommes qui lui demandent comment il a eu ces visions, il parle de la puissance des images, de rêves certainement. Et les histoires de mer, de marinier, la permanence des histoires d’eau …
2 commentaires à propos de “#anthologie #17 | pierre & edmond”
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il n’a pas à expliquer, tout est dans sa façon de le faire ce film
Oh Brigitte, merci. Mais comme cette consigne t’es dédiée, je voulais y glisser une Brigitte. J’ai oublié mais je vais réparer ça. Merci pour ton commentaire.