#anthologie #12 | E. W. N.

Moins qu’un prolongement de la plaine crayeuse, Épernay se présente comme allant de soi, comme étant de nulle part ailleurs que d’entre soi. Des maisons à un étage, larges, aux toits noirs, des maisons à un étage, plates, faites en brique, d’autres en pierre, des immeubles à un étage, même pas deux, ou si peu, des entrepôts des volets des rideaux. Le contraire d’une ville pétillante. Un semi-remorque suivi d’une file de voitures, suit lui-même un engin viticole haut sur pattes qu’on appelle un enjambeur. Une bâtisse de fonction, ventrue. Elle ne pensait pas, quand elle écoutait Jacques Brel à l’adolescence – sa grand-mère détestait Brel, Piaf, les envolées lyriques – elle ne pensait pas qu’elle serait un jour invitée à dîner par une sous-préfète. Grande pièce, tables rondes, verrière. Son autre grand-mère chantait toute la journée. Épernay ramassée, grilles, jardinets, arbres bien alignés.

Washington est tombée au bord du Potomac ayant trébuché sur l’unique colline elle s’est étalée dispersant autour de son corps longiligne quelques musées des cailloux dressés qui se prennent pour des symboles des flaques de rond-points giclant en avenues qui étoilent l’horizon des statues monumentalisant la mort, les morts, la guerre La plus grande statue a le visage figé dans le marbre blanc son nom comme tous les noms des grandes personnes font la rime à la ville Dans un cinéma entre Logan Circle et Dupont Circle, on joue en noir et blanc et très vieil Orson Wells Une utopie s’est pétrifiée dans un cauchemar labyrinthe

La chaleur accumulée dans les rues du vieux centre exsude par le calcaire dont sont faites les façades, par les pavés lustrés luisant comme une peau en sueur, Nîmes a la couleur de l’été. Laisser ses rues minérales pour la fraîcheur de l’avenue plantée d’arbres, goûter la différence entre une terrasse sous parasol où la température se concentre, et l’ombre délicieuse d’un platane. Avoir envie de poursuivre, longer le canal jusqu’au jet d’eau, traverser le jardin jusqu’à la fontaine, sa ruine comme un tableau d’Hubert Robert, ses parapets ses grands vases de pierre, s’asseoir et méditer sur la turbulence du temps. Revenir sur ses pas. Se trouver dans une ville vide. Qui sont ces bâtiments sans lumière dedans, qui sont ces volets fermés à l’heure où l’air pourrait entrer, qui sont ces façades splendides qui ne cachent personne ? Le soir tombe lentement. Apercevoir un homme couteau et tablier dans une cuisine moderne aux couleurs vert olive. C’est le seul habitant. Entendre un bruit de voix sur une terrasse. Guetter une lumière à une fenêtre, une seule. Ce sont les deuxième et troisième habitants. Plus près des arènes les terrasses sont pleines de jambes en short et de verres de bière, jeunesse et touristes se pressant le long d’un boulevard et de quelques rues au centre de la ville. Devenir historique : mourir au présent.

A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu en juillet 2024, s'intitulera «BigBang».

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