#anthologie #12 l Berlin, La Havane, Istanbul

Ce sont les mêmes aéroports. Ne serait-ce la langue qui change on pourrait croire que le voyage est immobile et aucun déplacement nécessaire puisqu’on retrouve les mêmes tapis roulants, les mêmes caméras, le même contrôle pour l’embarquement, les mêmes duty free, les mêmes baies vitrées quelque soit la ville. J’ignorais qu’une rivière coupait Berlin en deux. J’ignorais que j’aurais été rassurée par l’architecture austère et imposante, les couleurs sombres et les larges avenues. À ce que je voyais se superposaient des images du film de Wim Wenders « les Ailes du désir » et j’avais la sensation de déjà connaître la ville. Je ne suis pas allée voir le mur. Je suis restée dans le centre historique entre la porte de Brandebourg et la place où Peter Falk l’ange déchu converse avec lui-même. La gare d’Anhalt non loin de Potsdamer Platz était gravée dans ma mémoire. Les ruines de l’histoire sédimentées dans la géographie d’une ville en contraste avec l’architecture contemporaine racontaient les tâtonnements des Hommes. Avant que E ne m’édifie sur l’écologie du voyage, j’avais cette aversion à me rendre dans un pays, sur une terre où je ne connaissais personne. La seule raison légitime et honorable pour me sortir de chez moi était celle d’aller voir quelqu’un. Je ne crois pas aux rencontres lors des voyages. Je n’ai rencontré personne ni à Berlin, ni à Istanbul, ni à La Havane sinon moi-même et peut-être aussi les lieux parce qu’ils sont chargés d’histoire. La vieille Havane et sa cathédrale m’ont ému pour ça. N’en déplaise à E qui collectionne les guides du routard, j’ai acheté en librairie des récits de voyages. J’avais trouver le moyen d’être en lien avec des personnes et non seulement des lieux aussi beaux et chargés d’histoire qu’ils puissent être. Pour La Havane j’ai lu de Frances Caldéron de la Barca la femme d’un diplomate américain que les rues n’étaient pas pavées comme celles d’Istanbul. Les pierres venant de Vera Cruz coûtaient trop cher et les autorités ont imaginé de les remplacer par de larges troncs d’arbres. Idée vite abandonnée, mais certains voyageurs en 1839 ont eu la surprise de voir de larges et magnifiques troncs de mahoganis enterrés dans les ornières de La Havane. L’historien Steven Runciman a écrit en 1942 qu’aucune ville n’est plus magnifiquement située qu’Istanbul. Il attribue cependant une mélancolie et un pessimisme aux Byzantins à l’époque au climat de leur ville impériale. Je ne sais pas voyager de manière pratique aussi bien que E, mais je sais que je savoure les récits de voyages. Ils donnent comme le film de Wim Wenders pour la ville de Berlin une densité émotionnelle au voyage, une couleur, un sentiment que ne me donnerait aucun guide de voyage. Sans Steven Runciman je n’aurais pas pensé au vent froid qui souffle en hiver sur le Bosphore depuis la mer Noire et les steppes de Russie et au-delà, ni au vent chaud et envoûtant le Melteme en turc que Zeus souffle du sud en été pour rafraîchir la Méditerranée.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

Un commentaire à propos de “#anthologie #12 l Berlin, La Havane, Istanbul”

  1. Tu tisses les trois villes ! Variation qui convient parfaitement à l’esprit vagabond de la narratrice. Moi aussi, j’aime les récits de voyage : « Ils donnent comme le film de Wim Wenders pour la ville de Berlin une densité émotionnelle au voyage, une couleur, un sentiment que ne me donnerait aucun guide de voyage. » C’est tout à fait ça.