La chape de plomb m’assomme en sortant de José-Marti. C’est l’odeur lourde de la chaleur et de l’humidité, le skaï usé du taxi me la rend en gouttes de sueur qui coulent dans mon dos. Des vingt minutes qui me séparent de La Havane, j’apprivoise lentement l’odeur du passé. Les vieilles berlines américaines aux couleurs délavées me plongent dans un ailleurs de rétroviseur, je voyage en marche arrière. Au premier temps, il y a une odeur de tabac, une odeur de café, une odeur flottant dans les rues de la ville de violence, de mambo, de révolte et de nonchalance. Derrière San Carlos de la Cabaña, j’entends Fidel et le Che murmurer une colère sourde. Le temps de me retourner et c’est l’Amérique des casinos avec son opulence qui souffle sur le Malecón, Hemingway regarde le fond de son verre de daïquiri. Le vent m’emporte en arrière comme une brindille et je viens frapper la voile d’un galion espagnol avant de m’envoler dans le ciel tropical.
À l’arrêt de bus du temps arrêté, j’attends. Longtemps. Devant moi, le désert est immobile comme il l’a toujours été. Le soleil se lève le matin et se couche le soir dans le bégaiement du temps désossé. Pas un souvenir ne survole. Pas un bruit qui ne provienne du sable et du vent. Pas une odeur que le soleil n’ait déjà brûlée. Résonance du rien, vide de tout. J’attends que le temps se remette en route à la faveur d’une pensée. Je ne pense pas, je ne suis pas. J’attends comme un grain de sable.
Le cheval hennit en franchissant la voute de pierres qui troue la muraille. Je prends une bouffée d’air et l’haleine âcre des rues m’envahit avant qu’un coup de Mistral ne l’emporte dans les collines marseillaises. Une draisienne s’infiltre dans le chaos des Capucins. J’entends les bombardiers arroser Saint-Charles. Un cargo grommelle en entrant dans le port, je vois filer une Panhard sur la corniche. Le métro siffle à Castellane, le ferry-boat ferryboatise, un petit train monte à Notre-Dame de la Garde. Une trottinette électrique repose au sol sous l’ombrière du Vieux-Port et je vois une fusée traverser le ciel. Je souffle. Le temps s’accélère et déjà, j’oublie l’avenir.
Ces allers retours dans le temps font virevolter les mots. A faire danser dans le vide, ce rien plein de tout.. merci !