#anthologie #06 | seul face à Victoria Harbour

seul    ce n’est pas se ressourcer   aujourd’hui   après tant de contacts
de paroles de tentatives de convaincre   c’est tout sauf le calme   seul   c’est un silence qui bourdonne    seul   c’est la Baie de Victoria Harbour qui se déploie sous ses yeux    une vue sublime qu’il contemple seul    c’est la perspective des cinquante ans demain    seul    c’est ce pincement au cœur quand il pense à Jozua    seul    et isolé depuis quelques jours    seul    il perçoit la distance que les autres dressent entre eux et lui     ceux qui l’abandonnent à son projet   seul    avec tant de doutes qui l’assaillent    seul    se demandant si Jozua a vraiment tout fait pour venir    seul    repensant aux personnes qu’il a filmées    seul    se demandant s’il ne les a pas mises en danger    seul dans le silence du Peninsula    seul parmi d’autres seuls    seul     c’est une vitre entre son corps et le vide    seul    c’est un vertige qui le traverse    seul    c’est un sentiment diffus d’inquiétude     seul et inutile à ses propres yeux    seul    avec l’idée de se secouer   seul    en regardant les rushes des derniers jours    seul    en se demandant s’il aura toute latitude pour terminer son film    seul    sans savoir qu’une dizaine de focales le surveillent    seul    la tête sous le jet glacé du robinet   seul    avec la volonté de se ressaisir    seul   avec l’idée d’aller promener sa solitude dans les îles      seul  en regardant les sillons croisés des ferrys sur la mer    

A propos de Muriel Boussarie

Je travaille sur un chantier d’écriture au long cours et j’espère avoir assez de souffle pour le mener à terme. L’intuition de ce projet a surgi ici, dans un atelier du Tiers Livre. Il était question de se perdre dans la ville. Comme je ne voulais pas suivre une piste trop autobiographique, j’ai délocalisé l’errance en la situant dans la ville de K., un avatar de Hong Kong qui m’avait tant fascinée. Alors un personnage, un homme, Tu, toujours interpellé, est immédiatement apparu dans une rue de K. où il s’était égaré. Malgré cette entrée en matière – très forte pour moi – je n’ai pas pensé au départ écrire une histoire, encore moins un livre. Mais je voulais écrire, rêver un univers, celui de K. Quelques textes ont ainsi vu le jour sur mon blog. Puis lors d’un nouvel atelier de François Bon, un fil d’histoire plus précis s’est ébauché : le départ de Tu et L. vers les îles pour fuir la dictature qui sévit à K. À ce moment-là s’est déclenché un grand désir de narration. Beaucoup de choses se sont précisées au fil de l’écriture, bien des personnages sont apparus… Et régulièrement j’utilise des consignes de l’atelier comme pistes pour développer mon récit.

2 commentaires à propos de “#anthologie #06 | seul face à Victoria Harbour”

  1. Beaucoup d’air et des visions dans ce texte, très filmique et pas seulement car on parle de cinéma. L’anaphore du seul fonctionne bien, ça donne du rythme, un rythme incantatoire. Je relis le texte en l’enlèvant et c’est aussi un texte intéressant, plus resseré…Merci.

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