#anthologie #11 | simple oubli

Je quitte la nationale pour le petit chemin Il y a trois façons d’arriver au village je choisis de préférence le petit chemin qui est goudronné seulement au début et qui n’est pas entretenu je suis secouée dans les ornières Je n’aime pas la route du bas qui quitte abruptement la nationale je l’anticipe bien trop tôt je ne me souviens pas du moment où elle va apparaître ni derrière quel virage Elle débouche à côté du cimetière Je devrais l’y accompagner La route du milieu permet de voir le village de loin et la maison aussi On distingue le balcon dès la sortie de la nationale c’est trop tôt pour moi Le petit chemin passe devant la ferme où nous allions chercher le lait à pied après dix huit heures Les enfants ont repris et vendent aussi du fromage J’ai l’impression à chaque fois de découvrir de nouveaux chalets Je m’arrête un instant à la sortie des bois la vallée dessous et les montagnes en face Saisissant ce moment quand la nuit est presque tombée cette pause ce moment de respiration avant C’est plus long par ici je ne suis pas pressée d’arriver Le petit chemin passe au-dessus du cimetière J’irais seule encore et serais étonnée par le nombre de Maurice ou de Dumas sur les pierres tombales Le village est éclairé le premier lampadaire à la sortie du pont au dessus du torrent Une seule rue Il n’y a jamais de place pour se garer Je n’espère pas pouvoir stationner sur la place de l’église Les volets de la maison sont fermés Je suis peut-être déjà en colère en effectuant la manœuvre délicate pour insérer en marche arrière ma voiture dans l’étroit passage sous les fenêtres Je remâche tout ce qui est étroit dans cette maison Je sors côté passager j’ai trop serré la voiture contre le muret et la portière côté conducteur ne peut s’ouvrir suffisamment J’interprète Mauvais signe J’ouvre le portillon en le secouant pour faire sonner la cloche J’arrive J’avance sur le balcon dans la pénombre la nuit est là les étoiles la vue les scintillements sur les montagnes Le volet de la porte d’entrée est rabattu Elle le ferme chaque soir rituel rassurant sa journée est terminée elle n’attend plus rien pour aujourd’hui Je sais qu’elle a oublié.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition