#anthologie #11 | retour de nuit à la maison rouge

Je ne suis jamais arrivée si tard à la maison rouge Les phares trouent la nuit comme s’ils me frayaient un passage dans le noir agrandissant sur le chemin les arbres aveuglant les fourrés éblouissant un crapaud ou un lapin en bord de fossé que j’imagine figés dans la lumière blanche  La voiture serpente sur les routes de campagne englouties par la nuit et sur la ligne d’horizon des bouquets de feux d’artifice se relaient en panache de couleurs et ça me parait si étrange de les voir fleurir silencieusement sans un bruit sans un son moi qui enfant me bouchais les oreilles et frisais le nez et les yeux avant les éclats ou bien après les éclairs les soirs d’orage Mais d’orage il n’en est pas question ce soir l’air est doux et le ciel étoilé et je me dis que c’est assez féérique cette arrivée de nuit avec les feux d’artifice le ciel étoilé et le tunnel de lumière végétale que creusent les phares sur la petite route goudronnée Et peu à peu surgit fantomatique le chapelet bien connu de petites maisons basses qui me dit que l’océan n’est pas loin que j’arrive mais la nuit et la couleur des phares ne permettent pas de distinguer clairement ce que j’aime tant de jour le bleu des volets le rouge des toits de brique et le blanc ébloui de soleil des façades la nuit délave et noie et dissout les couleurs du jour La nuit me fait perdre mes repères trouble mes sensations dans la nuit le paysage n’a pas la même odeur le même parfum mais déjà le panneau d’entrée dans la ville les réverbères et l’effet stroboscopique de leur lumière orangée au passage de la voiture me serrent le ventre Le plan de la ville a changé il n’est plus tout à fait le même comme si la nuit bouleversait aussi mes repères spatiaux Ont surgi des couloirs de bus, des pistes cyclables, des zones piétonnières, des ronds-points de nouveaux lotissements le sens de circulation de certaines rues a été modifiée dont celle de la Parée devenue à sens unique vers la mer Au début de la rue je ne reconnais rien et puis dans toute cette étrangeté baignée de nuit et de réverbères et d’étoiles et lumières d’intérieur et de phares la petite barrière en bois le terrain d’herbes folles de sable et au fond tapie loin des lumières de la rue la maison rouge aux volets fermés

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !