mon ventre devant ce ventre qui m’est poussé sans que je sache comment sans que je le voie venir peut-être l’âge ou le bon vin il bute contre le lavabo je peux plus le rentrer comme avant à peine il bute quand je m’approche du miroir pour examiner mon visage de bientôt cinquante il bute contre le froid de la faïence blanche quand je veux le voir de plus près ce visage de demain cinquante ans voir ce qu’il est devenu voir si je le reconnais vraiment je veux dire bien sûr que je le reconnais le même front les mêmes yeux le même nez et la mâchoire ça n’a pas beaucoup changé même pas de rides ou si peu mais pourtant c’est plus le même visage depuis quand ? ce n’est plus la même expression il y avait une légèreté avant un charme maintenant c’est devenu terne les joues le cou neutre ça s’est épaissi comme mon ventre ce ventre qui me devance qui me devance toujours maintenant pendant un temps j’ai pu le contenir je faisais un petit régime salades avant l’été il était pas trop volumineux je trouvais que ça allait avec ma stature avec ma grande carcasse Jozua disait qu’il aimait bien ma petite bedaine que ça le changeait de ces corps ascétiques de danseurs avec qui il travaille de leurs corps secs et athlétiques toujours en tension toujours sous contrôle parfois tu t’endormais sur mon ventre comme sur un oreiller ta joue s’enfonçait dans mes entrailles oui Jozua tu dormais sur mon ventre ça me revient ça fait déjà un bail est-ce que tu t’en souviens ? est-ce que tu y penses parfois ? à ce moment-là le temps se ralentissait à ce moment-là j’avais la sensation que mon ventre faisait partie de moi il était proéminent mais il faisait partie de moi maintenant ce bide qui me devance qui me dépasse j’ai l’impression qu’il me domine il est comme un coffre-fort étranger je me demande ce qu’il pense maintenant je sais qu’il y a des neurones dans le ventre je sais qu’il pense mais je ne sais pas ce qu’il pense il ne dit rien comme si ça me regardait pas comme si je ne pouvais pas comprendre que je n’avais qu’à suivre
Terrible mais très fort.
Merci Betty !
Oh que j’aime de retrouver le lien entre ces différents textes, de suivre ces personnages.
Merci beaucoup Anna. Ce personnage fait partie de mon chantier d’écriture au long cours.
on retrouve là ton goût pour les espaces qui suspendent le texte et nous font attendre la suite
je retiens : « de leurs corps secs et athlétiques toujours en tension toujours sous contrôle », cette idée de contrôle permanent qu’il nous faudrait exercer sur notre silhouette, cette idée de ce qui nous échappe de notre enveloppe et aussi de nous-mêmes…
j’ai tellement pris le goût de ces respirations que parfois j’ai du mal à utiliser la ponctuation normale…
Tu as raison, il y a vraiment l’idée de corps sous contrôle versus corps qui déborde et qui échappe… idée fascinante, vertigineuse… Merci pour ta lecture chère Françoise