#anthologie #11 | noir

et quelque chose l’envahit c’est une sorte d’oppression à laquelle il n’a encore jamais fait face Les sons de cloches résonnent encore mais pas à l’extérieur comme précédemment car désormais personne ne les entend et les passants qui arrivent près de la cathédrale ne savent pas ce qui vient de se nouer ici Non mais c’est dans son ventre que chaque son éclaté tout à l’heure sur les parois de bronze s’est lové Les cloches ont laissé leurs œufs un peu courbes tomber dans le ventre et ils se tiennent là à remuer à chaque pas posé sur le sol Il sent cette bizarre sensation l’habiter à chaque pas qui le fait s’éloigner de ce lieu Il s’est passé quelque chose dont il n’a pas la maîtrise il pense que cela ne va pas durer et il faut marcher sans doute pour pouvoir évacuer cette perception il pense à des pansements mais il n’est pas possible de panser l’intérieur d’un ventre habité de sons de cloches tout cela n’est pas raisonnable il faut passer à autre chose vite sinon il va devenir fou S’arrêter dans le jardin public où jouent des enfant est peut-être une solution pour calmer l’angoisse qu’il sent monter Ces jeunes vies qui ne savent rien de la vie justement et de la mort sont sans doute le remède pour retrouver pied dans ce monde dont il n’a plus d’illusions Une fillette isolée regarde d’autres enfants se bousculant pour grimper sur le toboggan, un garçon assis sur un animal posé sur un ressort rebondit rebondit et à nouveau cela résonne dans le ventre Il fixe le feuillage des arbres qui ondule avec légèreté et se perd dans les sinuosités vertes planté là et lui-même s’adosse au tronc d’un arbre sans s’en apercevoir Lorsqu’il sent des regards curieux le dévisager il comprend qu’il est là depuis un long moment et que sa présence incite peut-être à le soupçonner de quelque mauvais coup à accomplir alors il reprend sa marche Mais combien de temps est-il resté là il voit bien que le soleil a baissé et que les passants semblent se hâter vers quelque foyer accueillant et qu’il est temps pour lui aussi de regagner le sien Cela semble s’être calmé dans le ventre mais pas vraiment clair dans la tête Il regarde autour de lui semble hésiter sur le chemin à prendre puis se glisse dans les pas d’une silhouette qui marche au même rythme que lui dix ou quinze pas devant et la direction qu’elle prend lui convient oui c’est bien par là qu’il lui faut aller pour rejoindre son logement Il ne comprend pas pourquoi il est si déstabilisé il s’accroche aux pas de la personne qu’il suit Pour retrouver une marche normale de son esprit il se met à se réciter des poèmes de Victor Hugo ou de Rimbaud qu’il connaît par cœur et dont il sait leur pouvoir d’apaisement Ainsi il avance-t-il jetant quelques coups d’œil sur des vitrines de magasins dont les devantures s’éteignent et il se dit qu’il n’aura pas le temps d’aller acheter quelque chose à manger et puis qu’aurait-il bien pu demander il n’en avait pas la moindre idée La silhouette qui le précède entre dans une allée qui n’est pas celle où il habite et il voit bien que la femme qu’il suit marque de l’inquiétude et referme très vite la porte de l’immeuble sans doute en poussant un soupir de soulagement et que retrouvant ses proches elle va leur dire la peur qu’elle a eue d’être suivie par un homme étrange Mais pourquoi a-t-il fait ça car il n’a nulle mauvaise attention peut-être juste besoin que quelqu’un le prenne dans ses bras un instant pour lui faire oublier les moments incompréhensibles qu’il vient de traverser Il voit qu’il fait presque nuit et ses idées commencent à revenir à la normale Il aperçoit la façade de son immeuble qui n’est plus très loin il entre dans le hall cherche la clé au fond de sa poche emprunte la montée d’escalier il ne prendra pas l’ascenseur cela n’en vaut pas la peine et puis il n’est pas pressé personne ne l’attend Devant les portes de ses voisins il entend des bruits de vaisselle que l’on remue ou des voix qui ricochent un air de piano très doux qui meurt entre les murs Il tourne la clé dans la serrure entre mais n’allume aucune lampe il lui semble qu’il verra mieux dans le noir

Ce texte remplace la fin du texte écrit pour la consigne 9 que je remets ici pour mieux comprendre ( je n’étais pas satisfaite de la fin donc merci François!)

c’est le premier coup de cloche de l’église, lent et gras, d’autres s’enchaînent et n’en finissent pas de marteler d’un pas de deux, mais pas de ceux rapides des pas de militaires qui marchent lors des défilés d’un pas cadencé, mais de ceux des soldats anglais par exemple au moment de la relève de la garde devant la résidence royale, en une métrique savante,

ce sont donc des coups de cloches lents et graves, un, deux, un, deux, un, deux, et qui poursuivent leur procession sonore, sans que rien ne vienne les arrêter, et bien sûr il a reconnu le glas, la sonnerie des morts, qui diffuse de la glace à l’intérieur de soi et

est-ce-que quelqu’un sait vraiment combien de temps dure cette sonnerie, ce tintement sur une seule note, qui immobilise, ou qui faisait se lever des chapeaux pour honorer le mort ou la mort,

là cela semble durer une éternité, il se souvient avoir lu que le glas sonne à l’entrée du cercueil dans l’église et à la sortie, mais il ne sait plus, et il se mettrait presque à compter les coups comme s’il recevait un coup de poing à chaque impact et que son corps ployait sous la force , il se dit qu’il ne sait rien de cet enterrement qui se déroule tout près dans la cathédrale de la ville, mais une foule immense se tient sur le parvis, une foule silencieuse qui encaisse elle aussi les coups répétés, et en chacun cela médite, cela bouleverse, cela remue

et lui qui marchait normalement jusque là dans la ville se rendant à quelque rendez-vous, ou simplement pour faire un peu d’exercice avant une journée sans grand intérêt, il se retrouve là, percuté par ce glas, ébranlé de secousses auxquelles il ne comprend rien, à voir défiler en tête tous les êtres chers qui ont disparu ces dernières années, et cela fait beaucoup pour un seul homme,

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

Un commentaire à propos de “#anthologie #11 | noir”

  1. J’aime beaucoup l’idée du gars qui se récite des poèmes de Victor Hugo ou de Rimbaud pour se calmer et retrouver une marche normale.