#anthologie #11 | La chambre du septième (suite)

Je pensais que nous aurions vite fait Il était grand et terriblement beau, un homme dans la cinquantaine Quand je l’ai quitté il était environ vingt heures et la nuit prenait ses aises sur le trottoir Dans le couloir des chambres de bonne sa main avait précédé la mienne à tâtons il avait trouvé l’interrupteur de la minuterie sans la moindre hésitation Il avait dû venir repérer les lieux avant de demander à visiter la chambre Mon locataire du troisième réclamait des travaux dans sa salle de bain et je ne disposais pas de liquidités Vendre l’appartement plutôt que la chambre j’y avais pensé Pendant toute sa visite monsieur Kowacs n’avait pas vraiment regardée ma chambre à la lumière de l’ampoule qui pendait du plafond et de celle de la lune qui s’était levée dans le chien assis et je m’étais sentie blessée de sa presqu’indifférence Il la voulait voilà tout Mon prix serait le sien je ne savais pas Je retournais à mon hôtel par l’avenue familière Même si je ne vivais plus dans le quartier depuis longtemps Mon père avait marché là dans son pardessus de l’armée, une valise au bout du bras Prendre le métro je préférais la marche qui aide à penser La chambre et ses couches de souvenirs de la famille accumulées et emmêlées Depuis 1931 les marronniers désignaient de leurs bras dénudés les fenêtres des immeubles s’allumant tour à tour, les feux tricolores du carrefour imperturbables continuaient leur manège La circulation les gens la mienne au milieu de celle des autres au loin L’enseigne de l’hôtel rougissant la façade de ses lettres lumineuses Un chien levait la patte contre un réverbère comme Ils avaient un chien les gens de la chambre 6 un nom étranger et un petit garçon malheureux venu gratter une nuit la porte numéro 7 la mienne Monsieur Kowacs J’avais dit je ne suis pas sûre de la vendre À monsieur Kowacs J’ai couru dans la nuit j’ai grimpé les cent quarante-sept marches de l’escalier de service Il était assis sur la cent quarante-huitième J’ai dit OUI.

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.