Je m’impose. On voudrait me cacher. Avale ton ventre répète la mère à l’adolescente. Je ne disparais pas, leurs vêtements amples tout juste me recouvrent. On a honte de moi, certains regards étonnés (les pires). On me serre, on me comprime, je déborde. M’impose, j’avance devant. Je garde trace de ceintures, étranglement et plaie. Ces mêmes qui claquent sur les corps punis (on a connu ça). Me poser devant, il le faut bien. Volume et masse, je les devance, têtu. Fier et honteux. Je suis l’excès qu’on voudrait oublier. Supprimer. Vissé au corps, je résiste aussi longtemps que lui. Je suis du corps à l’avant du corps. Je bouge comme détaché. On parle de moi comme objet, le membre de trop. Je suis l’histoire visible invisible cachée. Visible d’emblée. Je suis l’exubérance, on me voit de loin. Je suis bavard de tout passé tu. On m’entend. Je suis le journal intime qui ne s’est pas écrit, l’oubli des sucreries avalées — en cachette, rapidement. Si rapidement qu’englouties par bouts, fragments en moi, comme entiers. Je m’adapte m’élargis. J’ai la souplesse de l’accueil. Je suis la densité qui rassure, l’intensité du doux. Chaud comme la consolation, ronde présence de protection. Je brasse les saveurs, tout finit par se mélanger : épice ou sel, l’amertume, gras ou liquide. Confondus. Je suis le brassage des textures. J’entends croquer crus légumes et fruits ; j’attends le crémeux des sauces. Je suis l’usine moelleuse d’après les dents. Je broie malaxe transforme. Je tourbillonne, muscle, sang. Je suis complexe comme le plaisir. J’écrase, quelque fois écrasé. J’étouffe alors, sans autre choix que d’absorber, m’adapter. Me dilater et contenir. Me transformer, transformer : je suis l’alchimiste dépassé. Je me pose alourdi, me pose devant. Me repose de nuit, l’assoupissement d’après. Cotonneux, charnel, je suis la torpeur du corps. D’autres rythmes, d’autres mouvements. Quand à nouveau allégé, me crispe me contracte, j’exige (gare à qui pense me priver). M’éveille à toute bouchée, réclame la suivante. Et toujours ce besoin d’eau, de liquide comme plantes et racines ; je suis terreau. Et vie. Je suis l’attente du corps. Sa continuité en sourdine. L’impatience et l’apaisement. Je me tends de faim (le creux), me tends de trop manger (l’excès). Leurs oreilles parfois vers mes souterrains sonores. Je suis l’agité mystérieux. Je grogne ronfle geins gargouille. Je bats comme cœur, pulse au flux du sang. Le poids de leurs têtes attentives, le rire des enfants qui m’écoutent. Je m’emballe, par l’essentiel enfin comblé.
Quel beau texte et quelle belle idée, ce ventre sous toutes ses facettes, intérieur, extérieur. C’est drôle aussi. Merci
merci beaucoup Isabelle !
j’avance devant
je résiste
m’impose
c’est plein d’humour, c’est fort.
Merci
merci Françoise, sacré ventre ! merci