, je me lève comme tous les matins du lundi au vendredi, 6h35, le reste de la maison dort encore, encore une journée dans ce bureau d’expert- comptable où j’essaie de démêler la vérité derrière des chiffres qui se dérobent, qui se cachent et qui mentent
se cacher, je pense à cette femme aperçue depuis une semaine sur le bord de la route que j’emprunte du lundi au vendredi, une femme qui fait du stop, tôt le matin, jamais vue jusqu’ici, sa présence m’interroge, sa présence si tôt le matin sur cette route de campagne reste une énigme, des problèmes de voiture certainement, une femme seule sûrement car autrement son mari l’emmènerait où elle doit aller
aller vers le bureau, je l’ai dépassée lundi et mardi sans m’arrêter, je l’ai regardée la première fois en passant à sa hauteur au bord de la route, je l’ai regardée dans le rétroviseur la seconde fois, je n’ai pas osé m’arrêter, avec tous ces trucs de MeeToo on ne sait plus trop comment faire avec les femmes sauf la sienne et encore, et pourtant il pleuvait hier, j’aurais pu, je ne l’ai pas fait, j’ai regretté, j’y ai pensé toute la journée, la journée à écouter des chiffres qui me parlent
alors que la maison dort encore je me dis que ce serait bien que je m’arrête cette fois, si la femme est encore là, j’ai un peu honte de l’avoir laissée sous la pluie, cette femme dans cette attente au bord de la route, je lave ma tasse de café dans l’évier sous la fenêtre, je la mets à l’envers sur l’égouttoir, des gouttes d’eau prennent leur temps pour s’ébrouer
je prends la voiture, la voiture qui était dans le garage, d’habitude j’ai la flegme de la rentrer mais ils avaient annoncé des pluies du désert, ces pluies qui transforment les voitures en animal tacheté en un rien de temps ,
l’image de la femme au bord de la route saute à mes côtés, sur le siège avant, le siège passager
une urgence me tape à l’épaule, je poursuis la route, la route habituelle, celle du lundi au vendredi, bientôt la ligne droite où elle était hier et avant-hier
,une silhouette, la couleur de son imper, une tache beige au bord de la route,
mon pied s’est levé de l’accélérateur, j’entends la mélodie du clignotant
Beau texte qui donne envie d’en savoir plus. Qui est cette femme au bord de la route et puis que va-t-il se passer ensuite dans la vie de ce « serious man » ? Une belle évocation de la solitude au passage. Merci