#anthologie #04 | avec vue

Je n’ai pas retiré ma recherche sur le site immobilier, je reçois régulièrement un mail qui me propose la maison ancienne de plain-pied environ soixante quinze mètres carrés cinq pièces une chambre plus une grange de quatre-vingt dix mètres carrés offrant une cuisine un salon salle à manger avec pièce voûtée dans un village calme tous commerces à proximité.

Je ne souhaite pas déménager. Je m’imagine seulement le faire, parfois. Je ne pense pas possible de vivre dans une autre maison. Je rencontre souvent des maisons dans lesquelles j’aimerais vivre.

Ce serait une maison avec une vue. Une vue sur la mer, une vue sur la montagne, une vue sur un lac, une vue sur des collines, une vue sur la forêt. Le lieu serait chaque jour différent mais la vue serait toujours dégagée même sous la pluie même dans le brouillard. La vue resterait dégagée même lorsque la tempête ferait rage et que des vagues immenses se fracasseraient sur les vitres.

Habiter dans un bateau à voile, un ferry, une roulotte, une tente, une yourte, une grotte, une cabane en bois, un refuge en pierre, un chalet, un immeuble, un wagon, une gare, une salle des fêtes, une salle de classe, un château, une église, un bungalow, un phare – ou dormir à la belle étoile.

Habiter dans un phare monter chaque jour les trois cent marches de son escalier avec une lampe tempête à faible lumière tremblante et les redescendre.

Enfant, je me réveillais parfois terrifiée, le cauchemar des bruits de bottes. Je ne savais pas que sa maison d’enfance avait été détruite une nuit sous les bombes. Sans doute je le savais. Chercher dans les décombres.

Cet immeuble de vingt étages à Leningrad au bord de la Neva gelée.

J’ai travaillé quelques semaines pour une mairie, logée dans le château devenu colonie de vacances et vide au mois de septembre. Le régisseur du château de Comteville avait une barbe blonde et des yeux bleus. Je pouvais choisir toutes les chambres, changer chaque soir. Il restait tard dans la cuisine pour discuter. Il s’est suicidé, je pense à lui parfois.

Oiseaux, fourmis, champignons, insectes et graines légères ne connaissent pas les frontières entre le territoire policé et l’espace sauvage. Pour eux tout est habitable.(Gilles Clément). Mon jardin est une maison. Ce serait une maison avec vue sur le jardin. Une cabane à outil encombrée. Une toile d’araignée.

La taupe, le ver, ramper dans un tunnel, creuser la terre. Creuser les puits de mines. Creuser de plus en plus profond pour extraire de plus en plus noir. Habiter les corons de briques rouges et derrière toujours un jardin.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

Laisser un commentaire