#anthologie #03 I Les auriculaires

Je m’en mêle, les retrouver au fond du sac, à l’aveugle, en marchant, le regard à l’horizon et la main qui s’enfonce dans le sac, sprofonda,  mon épaule qui remonte et mon corps penché de travers, suivre le fil dans les interstices entre les livres et les cahiers, imaginer les objets qui font obstructions et que j’ai oublié, le sachet de madeleines, le foulard, le portefeuille, trouver un bout d’auriculaires, tirer un fil pour les sortir, mais quelque chose résiste toujours, prise dans les fils des auriculaires, la gourde peut-être, ou les clés, et mon bras se penche de plus en plus, je fais de la place, parfois je sors un objet et là ça passe, je tiens le fil maintenant, je le remonte, je les libère. Mais c’est une boule de fils. Les auriculaires, je les défais tout le temps, en faisant passer leur bout à travers la pelote des nœuds et encore une fois et une fois encore et je continue à marcher et à soulever mon regard à l’horizon aussi.  Je m’emmêle avec tous ces fils, et mes pensées aussi s’emmêlent avec les fils des auriculaires, tout devient intriqué, étriqué, les auriculaires il faut les libérer tout le temps, j’emmêle les fils qui font encore des nœuds, je marche vite avec ce fil blanc dans le main, c’est un défi, me dénouer en dénouant les fils, dans cette blancheur des fils. Je les allonge, ils allongent mes bras, ils allongent mon dos, je relie le fil à la source et je marche en ville avec le reste du monde dans les oreilles.

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.

5 commentaires à propos de “#anthologie #03 I Les auriculaires”

  1. Bravo. Mais oui, c’est exactement ça, ces fils indisciplinés et même parfois j’oublie qu’ils sont encore dans mes oreilles.

  2. Superbe ce rapport corps-objet !
    Et, tout au long de votre texte, l’intrigue, on veut savoir, l’objet, l’issue.
    Bravo !

  3. Superbe cette évocation du corps à travers l’objet qui résiste. Et puis la chute et cette phrase : « Je les allonge, ils allongent mes bras, ils allongent mon dos, je relie le fil à la source et je marche en ville avec le reste du monde dans les oreilles. » Le corps qui se déploient en prime !