#anthologie #08 | distinguer la porte

Et c’est dans ce moment où le soleil soulevait encore quelques écailles de lumière éphémère au tout sommet des châtaigniers que je l’ai vue, j’allais m’en retourner vers la maison et reprendre position un petit moment dans le bureau avec les livres et la table à écrire qui rassure avant d’aller dormir quand j’ai distingué comme une découpe un peu plus claire nichée dans la pénombre, elle semblait faire partie du muret, l’un de ces murets construits en pierres empilés dans une configuration parfaite pour tenir debout sans mortier et jamais je n’avais remarqué cette anfractuosité, ce décalage entre le bout de mur et l’épaisseur de la haie, une image étrange qui du coup m’interroge et m’attire, l’obscurité est désormais puissante, je me rapproche de quelques pas, essaie de distinguer la pierre du bois et du végétal luxuriant parce qu’en cet endroit du bosquet les limites sont confuses et les matières s’entrelacent jusqu’à se confondre et refermer les passages, mais oui il y a bien un panneau de bois qui ressemble à une sorte de porte bricolée à demi recouverte de lianes, j’écarte le fouillis des branches avec beaucoup de prudence, reconnais du bout des doigts la surface rugueuse jusqu’à ses bords, la barre en métal qui se tire et se soulève, je pousse, éprouve une terrible crainte, et si ça ouvrait sur un fossé, un piège à renard ou autre bête dite nuisible, un carrefour insoupçonné de sentiers, une zone interdite, une galerie qui s’enfonce sous la terre, un cimetière sauvage, une aire de combat pour les cerfs en rut, une tanière à sangliers, un jardin maudit avec plantes carnivores, un manoir en ruines, un espace à menhirs pour rituels chamaniques, un au-delà transformé exacerbé par l’excès d’obscurité d’une nuit sans lune qui génère des questions et révèle de l’effroi, personne ne pourrait y répondre sinon la hulotte affirmant soudain sa présence, enfin oser, pousser ce panneau de porte qui coince et résiste, y aller carrément avec le pied mais non rien à faire, il faudrait un outil tranchant pour défricher autour, je lâche prise, la nuit est trop noire, je reviendrai demain

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

10 commentaires à propos de “#anthologie #08 | distinguer la porte”

  1. Tu nous tiens avec tes suppositions, l’envie de savoir gonfle comme un ballon de baudruche dans lequel on soufflerait à chaque hypothèse. J’adore.

    • d’ailleurs il faudrait que je les travaille bien davantage, ces suppositions ! envoyées un peu à la volée… mais il faut faire si vite à chaque fois, le temps manque en cette fin de juin…

      merci JLuc d’être passé par ma porte secrète !! enfin non, puisqu’elle n’est pas encore ouverte !

  2. J’adore votre texte, Françoise. On a vraiment envie de savoir ce qu’il y a derrière cette porte.

    • merci Emilie pour votre présence… et qui sait si on réussira à l’ouvrir, cette porte jusqu’alors invisible ?

  3. Comme j’aime cette porte avec ce qu’elle va nous livrer… derrière ! Tu nous emmèneras, dis ?

    • je te promets, je te préviens dès que je réussis à l’ouvrir… et je t’emmène bien sûr !!
      salut Marlen…

  4. Rétroliens : #anthologie#23 | point de fusion – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer