#anthologie #07 | Rituel et fantôme

C’est un rituel le soir. Fermer les rideaux de velours, prendre la tisane dans l’autre salon, y allumer la petite lampe derrière la porte et deux bougies dans le grand salon. Boire la tisane dans cette semi-pénombre et ne plus voir la rue mais mon antre et ses ombres et les fumées de la bougie que j’ai appris à comprendre avec les gitans. Si elles sont droites, votre intention est entendue. Si elles tournoient, d’autres intentions se portent vers vous. Mais quand elles tremblent… mieux vaut ne pas écrire vos démons ces soirs là. Ils pourraient venir dans vos rêves après. Elles donnent une couleur dorée à mes poufs en laine crème. Et puis le rituel du carnet intime. Allumer d’abord la grande lampe, celle que je dois brancher ou débrancher uniquement car l’interrupteur ne fonctionne plus et qui grésille parfois. Cela ne change rien à l’atmosphère de la pièce mais tout à l’atmosphère de l’appartement. Une étrange présence s’y glisserait. Allumer ensuite la lampe du bureau et tourner son abat-jour afin qu’il donne vers le mur pour ne pas trop voir mes pensées sur le papier. Allumer la grande lampe de la table basse si je dois travailler. La laisser éteinte si il s’agit de mon âme ou de ma journée. Quant au luminaire de l’autre salon, l’éteindre si il me faut couler mes désirs mais le laisser allumer quand je dois exposer mes peurs. Comme les enfants, une veilleuse. Veilleuse sur l’appartement. Autre présence, face à la grande lampe grésillante et aux fumées des bougies. Et tous les soirs, le même rituel. Jamais, aucune lampe n’y échappe. Parfois je me demande même si ce n’est pas ce rituel qui dicte ce que je vais écrire et découvrir de moi. Et enfin, quand tout est fini, que les vêtements sur les chaises ne sont plus des monstres et les contours des placards mal fermés des intrigues de moi-même, j’éteins tout et à la lumière de ma cigarette, allongée sur le tapis, dans le noir, j’entrouvre l’un des rideaux opaques de velours et je regarde la lune, toujours au même lieu, à la même heure et je sais qu’elle me regarde aussi.

A propos de Léa Yasmine Djenadi

Psychologue. Métisse. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. En création d'une newsletter... (comme tout le monde, non ?)

Un commentaire à propos de “#anthologie #07 | Rituel et fantôme”

  1. Je découvre votre texte, J’aime cet univers singulier où les fumées des bougies communiquent avec les intention de la narratrice, c’est étonnant et mystérieux.
    « quand elles tremblent… mieux vaut ne pas écrire vos démons ces soirs là. »
    J’aime aussi beaucoup le chute du texte
    « je regarde la lune, toujours au même lieu, à la même heure et je sais qu’elle me regarde aussi. »
    Merci

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