#anthologie #06 | Sur les Exercices d’illuminations

Je compte beaucoup de ces instants de réveil au monde, naissances dirait-on, mais l’amont pèse tant qu’on ne peut l’oublier, illuminations au pluriel car la clarté et l’évidence se dissipent vite, la trame se resserre et je suis repris dans le charroi. Je suis en retrait de la danse de mes semblables, je suis une proie facile pour l’égarement immobile à cause de la fatigue, de l’ennui, de la folie, ou seulement sa menace ou sa promesse. Je suis profondément incroyant, par peur et paresse d’abord. Aux grands mots, je préfère les nuages. Au lieu de parler je regarde les plis, les motifs, je mastique une phrase happée dans l’air ou dans une chanson, j’aime les femmes que je n’aimerai pas. Je ne suis pas le seul à connaître ce regard net, lavé, sur les choses inchangées, ce sentir de la présence de l’univers en bloc. Je fais partie de la meute, même à sa lisière. Nous sommes tous parfois touchés par cela, et je frissonne déjà d’avoir dit nous. Si peu les disent, ces éclairs minuscules. Il y a des récits édifiants, chutes des cheval, pleurs de joie de dix heures à minuit, vide sous le figuier, incendies sans retour, si loin de mes mots pour ce qui n’en a pas. D’autres à qui ces fables sont inconnues ou pour qui les mots ne sont que des mots ne cernent pas d’une phrase ce qui les souffle du dedans de l’intérieur et l’oubli à l’aguet l’avale encore plus vite. C’est donc seul que je vis le sel du temps, seul encore dans les mots, comme est seul qui lit. Seul, seul presque.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735

6 commentaires à propos de “#anthologie #06 | Sur les Exercices d’illuminations”

  1. Oh la barre haute de ce texte ! Tellement dans le vent du Gustave Roud d’hier : Je crois que seuls certains états extrêmes de l’âme et du corps : fatigue (au bord de l’anéantissement), maladie, invasion du cœur par une subite souffrance maintenue à son paroxysme, peuvent rendre à l’homme sa vraie puissance d’ouïe et de regard. Nulle allusion, ici, à la parole de Plotin : « Ferme les yeux, afin que s’ouvre l’œil intérieur ». Il s’agit de l’instant suprême où la communion avec le monde nous est donnée, où l’univers cesse d’être un spectacle parfaitement lisible, entièrement inane, pour devenir une immense gerbe de messages, un concert sans cesse renouvelé de cris, de chants, de gestes, où tout être, toute chose est la fois signe et porteur de signe. L’instant suprême aussi où l’homme sent crouler sa risible royauté intérieure et tremble et cède aux appels venus d’un ailleurs indubitable.
    De ces messages, la poésie seule (est-il besoin de le dire?) est digne de suggérer quelque écho.

    Avec tout ça, je ne sais toujours pas comment attraper ce #6, mais de t »avoir lu, je m’en moque un peu.
    Merci Tristan

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