Seule dans la petite foule bavarde qui suit son chemin entre échoppes et table. Seule dans le désert du trottoir sur lequel rebondit la lumière ardente. Seule avec mes pensées parmi vos corps, vos rires, vos exclamations et vos muettes ruminations. Seule avec mon couffin parmi les sacs de carton siglés dansant au bout des bras. Seule comme le chêne vénéré agrippé dans le vent sur une colline défrichée, seule comme une statue de pierre dans un parc endormi, seule comme un cri étranglé, seule comme une pensée muette dans un débat acharné, seule comme un sourire furtif, seule comme une plume dans un caniveau, seule comme un chardon entre des roses trémières alignées,
Je rentrais dans le crépuscule vers la maison de campagne, et le bois que je longeais chantonnait comme les voix de la veillée.
Seule derrière mon sourire barrière où puise force. Seule petite silhouette baroque de vieille parmi vos jeunesses éclatantes. Seule à contre courant et mes yeux saisissent fugitivement le silence morne de pupilles dans un visage rieur. Seule comme un coeur endeuillé dans une fête amicale, seule comme un phare désaffecté, seule comme un intransigeant dans un groupe d’actifs bénévoles, seule comme un matelot aviné longeant le quai la nuit, seule comme une fleur poussant contre la gueule d’une gargouille,
Penchés par dessus le plat-bort du dériveur, côte à côte, nous regardions nos palengrottes s’effacer dans le vert de la mer frappée par le soleil ; la pinède et les buissons qui entouraient la conque de la baie effaçaient la vie de l’île où elle et nous étions enchâssés.
Seule comme la porte fermée sur vos agapes. Seule avec le chien qui pose sa tête entre ses pattes. Seule dans l’écoute de vos pleurs. Seule et hésitante sur le seuil qui mène à la richesse de ce salon malgré ou à cause de votre accueillante et raffinée antiquité. Seule comme le Huron du conte, comme la voix précieuse de la gentille fille noyée dans un concert de voix charriant avec leur fallacieuse bonhomie les cailloux du ruisseau, comme la tache du lichen sur les dalles au fond de la cour, comme un éclair d’ironie filtrant à travers des larmes, comme un gant de dentelle sur un billot,
Dans la nuit de Villeneuve lès Avignon, devant le haut portail de l’allée de la Chartreuse j’attends un taxi qui n’arrive pas, les yeux levés vers la fenêtre allumée sous les toits d’une maison, rêvant d’un profil penché sur un livre.
Seule parfaitement, immensément, secrètement.
Bonsoir Brigitte,
Quelle symphonie, j’aurai voulu être ainsi seule et écouter ce chant.
immensément
Oh Brigitte, quelle force de cette solitude!
formidable
oh merci à vous tous
suis experte (sourire)
« Seule avec mon couffin parmi les sacs de carton siglés dansant au bout des bras. » « comme le gant de dentelle sur le billot » » les yeux levés vers la fenêtre allumée sous les toits d’une maison, rêvant d’un profil penché sur un livre. » …tout tellement beau et le rythme et la construction … Merci
Magnifique texte !
Force de l’alternance des paragraphes. Lu plusieurs fois, merci Brigitte !
Une incroyable capacité à partager cette solitude particulière, et nous voilà à vos côtés, dans les lieux familiers ou plus lointains,
Quel texte Brigitte… J’y vois par moments tant d’images de Paumée.
entre ahurie et reconnaissante MERCI
Une leçon votre texte.
Enivrée.
Merci.
Totale séduction. Merci Brigitte. Quel grand et beau texte Et j’adore votre « sourire barrière ». Merci, merci Brigitte.
Une force qui rappelle celle des sculptures de Giacometti dans cette « seule silhouette baroque de vieille ». Merci.
merci (rire)
et grand merci ahuri à Annick et Ugo