Ma chambre est au 3e étage. Un grand lit face à un bureau au-dessus duquel trône un large écran de télé que je n’ai jamais allumé. La climatisation est réglée à 17 quand je la mets en marche. Le lit deux places mange tout l’espace devant le bureau. Je passe peu de temps devant la fenêtre. Je somnole allongée sur le lit aux draps blancs ou je suis assise à ce qui est devenu ma table de travail. Puisque je ne sais pas voyager qu’au moins, j’écrive et raconte les conséquences de ce que E. appellerait mon inconscience. Il ne m’a pas fait la leçon avant de partir. Je crois même qu’il était sincèrement désolé même s’il ne l’a pas montré. Je ne suis plus une enfant. Il ne peut pas vérifier mes bagages et ce que je mets dans mon portefeuille. Il m’a plusieurs fois alerté et répété que je devais faire attention. Je m’en veux. Je considère que ce qui est arrivé est de ma faute. Je suis seule dans la chambre d’hôtel et je n’ai prévenu personne d’autre de ma mésaventure. Lui seul sait que je suis restée à Istanbul. Il m’a laissé de l’argent, suffisamment pour payer l’hôtel et manger en attendant l’ouverture du consulat. Je n’ai pas encore la solution pour payer mes nouveaux papiers. Ce n’est possible que par carte bancaire. Il me faudra trouver une bonne âme qui acceptera du cash et aussi de m’accompagner au consulat. 3 jours cela ne semble pas si long. Le temps s’étire. De ma fenêtre je vois une cour remplie de cageot à légumes bleu pêle-mêle. Des enfants crient et courent dans la rue pavée en bas. Ils sont nu-pieds, les habits sales et me demandent de l’argent quand je sors de l’hôtel. J’entends leurs jeux de ma chambre et parfois aussi leurs pleurs. Quelqu’un est toujours en train d’appeler. Je ne connais pas la langue, les intonations me rappellent celles du quartier de mon enfance à Chauvel. J’ai le besoin de tout ramener à quelque chose de familier. La sensation d’étrangeté s’estompe. Je m’applique à faire le même trajet à passer devenant les mêmes enseignes chaque jour. J’ai réduit l’espace. La ville d’Istanbul est devenue une seule rue qui me mène de l’Hôtel au restaurant pour mon take away. Beshiktas, Eminonu, Kadikoy n’existent plus. J’ai le pouvoir de plier la ville à la plus petite expression qui soit confortable pour moi. Je sens que je m’attache au lieu. Je n’ai peut-être jamais été aussi attentive à noter les détails d’un autre lieu dans lequel j’aurais passé des mois voire des années. Je suis seule et la rue est avec moi. J’ai mon sac à dos sur une épaule. J’en tiens fort la bride. J’évite de croiser les regards. Je ne sais pas dire bonjour en Turc. Je souris à Begli. Je souris au serveur du Take away et je rentre dans ma chambre raconter sur une feuille blanche ma solitude.
Bonjour Gilda et merci de partager cette mésaventure, ce qui résonne avec d’autres similaires, dans d’autres endroits, avec d’autres personnes.
« J’ai le besoin de tout ramener à quelque chose de familier. La sensation d’étrangeté s’estompe. Je m’applique à faire le même trajet à passer devenant les mêmes enseignes chaque jour. J’ai réduit l’espace. » et plus loin « J’ai le pouvoir de plier la ville à la plus petite expression qui soit confortable pour moi. » quel calme, quelle résilience ( pour prendre un mot à la mode) Bravo !
Merci Claudine. Avoir un sujet pour les 40 jours je trouve bien pratique. Cela va être amusant de voir si pour les autres des histoires se dessinent. Au plaisir de vous lire à mon tour
J’ai aussi particulièrement le passage cité par Claudine. Ça permet de réduire aussi le sentiment de solitude de s’appliquer à faire ça. Et toujours ce lien entre voyage et écriture !