#anthologie #04 | Habiter

1

J’ai habité dans des lieux dont je n’ai presque plus aucun souvenir, principalement des chambres d’étudiant, à Saint Étienne ou encore à Aix-en-Provence. Parfois un détail, une ambiance, une couleur (dans la pénombre des odeurs luisantes de meubles en bois foncé). Le morceau d’image surgit toujours de manière inattendue, derrière lui ses reliques, comme l’ancre hisse ses breloques d’algues. Je ne sais pas si habiter des fragments c’est toujours habiter.

2

Ils sont nombreux les ici où j’ai dit en passant j’aimerais vivre et vite oubliés.

3

Je connais au moins une personne qui est allée s’installer dans un endroit inconnu d’un pays étranger. Lorsqu’elle a trouvé cet endroit quelque part dans le pays de Galles, avec la maison en pierre tout au bout du chemin défoncé, elle a dit : c’est là que nous viendrons vivre (elle parlait d’elle, l’étrangère de longtemps, et de son mari.) c’est là que nous viendrons nous installer après les années de travail, car c’est ici que j’appartiens. Dans sa langue à elle qui avait quitté depuis longtemps son pays, je me souviens du matin où elle m’a dit : ici j’ai senti le Heimat Gefühl. Lorsque les années de travail ont été terminées ils ont déménagé toutes leurs affaires, depuis leur ancien bout du pays jusqu’à l’autre bout, celui de la maison en pierre à la fin du kilomètre d’ornières. Elle est morte d’un coup en commençant à déballer les cartons. Elle est dans le cimetière pas loin, autour de la chapelle abandonnée. La maison en pierre son mari ne sait pas encore y retourner.

4

J’ai toujours eu l’impression de flotter dans le pays des autres – j’ai du mal à m’habiter.

5

Ma mère ne reconnaissait plus. Elle disait : ici toutes les chambres sont à moi, j’en ai partout, ensuite elle riait. C’était dans ses bons jours. Peut-être.

6

Je n’habite que dans des fragments. Des fragments de phrases des bouts de maisons de chambres de rues des morceaux d’enfants d’hommes de femmes des traces d’histoires passées enfouies revenues avec des visages d’hommes des corps de femmes des odeurs d’enfants, des palimpsestes d’histoires entamées écourtées prolongées ratées plus ou moins réussies. Je ne ressemble jamais à rien de ce que je m’entends à croire.

7

La première aventure d’habiter dans un corps et le corps dans un autre corps et perdre l’habiter du premier corps dans l’autre corps sans avoir jamais connu ni le premier corps ni son autre confondus.

8

Je me souviens la neige blanche dans le noir craquant sous les pieds quand le froid d’habiter l’hiver grignotait les doigts.

9

Une fois. Allongé sous la lucarne et dessus le ciel comme jamais depuis l’enfance rêvée. Une maison d’étoiles pour s’envoler. « Même qu’on se dit souvent – qu’on aura une maison -avec des tas d’fenêtres – et qu’on vivra dedans – et qu’y f’ra bon y être – et que si c’est pas sûr – c’est quand même peut-être » Jacques Brel

10

Habit – habitude – habiter : les voies parallèles du maintien (manière d’être) et de l’occupation (être là.) Des colonnes d’explications – un tableau sur deux pages dans le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey – pour explorer l’occupation à temps plein du ressembler en s’assemblant. Ou du s’assembler pour ressembler.

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